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Herbie Hancock: “Tanger est une ville majeure pour le jazz”

Tanger a été choisie par l’UNESCO pour accueillir la Journée internationale du jazz cette année. À quelques jours de l’événement, avant-goût musical avec Herbie Hancock, ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO et légende du jazz.
Herbie Hancock au Jazz Day

C'est la première fois que le continent africain accueille la Journée internationale du jazz. Pourquoi avoir choisi Tanger ?

Tanger est une ville majeure pour le jazz, et ce depuis longtemps. Sa culture et son histoire sont liées à cette musique. Les jazzmen ont commencé à se produire à Tanger dès les années 1920, et, plus tard, mon ami et grand artiste Randy Weston a vécu là-bas. Il y tenait son propre club appelé "African Rhythms" et a fondé le festival de jazz africain, une inspiration pour le Tanjazz Festival. Voilà pourquoi, lorsque le Maroc a postulé pour accueillir cette journée etque les visites et recommandations ont été considérées, Tanger a été sélectionnée.

Ce n’est pas la première fois que vous venez performer au Maroc. Qu’est-ce que la scène marocaine a de spécial ?

Le Maroc a un extraordinaire héritage musical, qui inclut la culture Gnaoua, une musique qui s'apparente au blues et au jazz américains. J'ai visité le Maroc en 2015 et notamment Marrakech et Rabat où j'ai joué dans le cadre d'une tournée éducative et culturelle avec Dee Dee Bridgewater et des étudiants du programme universitaire de notre institut à l'UCLA (Université de Californie à Los Angeles, ndlr). Pour certaines de nos représentations, nous avons été rejoints par des musiciens marocains incroyables. Vivre leur musique a été pour moi comme pour Dee Dee et les étudiants une expérience exceptionnelle. D'ailleurs, Dee Dee sera présente pour la Journée internationale du jazz cette année, et nous sommes tous les deux impatients de vivre à nouveau cette expérience musicale.

Tout au long de votre carrière, vous avez été considéré comme un avant-gardiste, et c’est probablement grâce à votre passion pour la fusion et l’expérimentation. Est-ce que la musique marocaine - entendons par là la Gnaoua - vous a déjà inspiré dans votre production artistique ?

On ne peut pas dire que la Gnaoua ait influencé directement ma création. En revanche, elle a été d'une grande inspiration pour moi. Randy Weston m'a fait découvrir cette musique et m'a aidé à créer à partir d'elle ce formidable dialogue interculturel. Il a collaboré de nombreuses années avec Abdellah El Gourd, l'un des maîtres du Gnaoua, qui sera présent lors de la Journée internationale du jazz cette année. J'ai hâte de poursuivre notre échange à la croisée des cultures.

Vous êtes ambassadeur de bonne volonté à l’UNESCO depuis 2011. En quoi le jazz et la musique en général peuvent promouvoir les valeurs de l’organisation ? Qu’est-ce qu’elles ont en commun selon vous ?

La musique, et plus particulièrement le jazz, est une force unificatrice. Elle apporte aux gens l'esprit de collaboration. Chacun peut partager son individualité et la mettre au service d'un objectif commun. Cela correspond tout à fait aux valeurs de l'UNESCO, qui, au sein des Nations-Unies, est dédiée à l'éducation et à la culture. Lors de la Journée internationale du jazz, la musique, l'échange culturel et les programmes d’éducation sont au cœur de notre action. Au-delà des notes, nous partageons beaucoup de choses, depuis l'histoire du jazz jusqu'à ses valeurs. Tout cela est aligné avec les objectifs de l’UNESCO. UNESCO

Est-ce votre longue carrière internationale qui vous a donné envie de travailler avec l'UNESCO ?

J'ai commencé à travailler avec l'UNESCO en 2001, lorsque j'ai été invité aux côtés de Wayne Shorter et d'étudiants de l’Institut Herbie Hancock à participer à la Journée de la Philosophie, qui rassemble penseurs et philosophes du monde entier. À partir de cette expérience, j'ai eu la chance d'être nommé Ambassadeur de bonne volonté de l'UNESCO en 2011. Ma première initiative a été d'aider à créer la Journée internationale du jazz, que nous avons réussi à mettre sur pied en cinq mois. En douze ans, cette journée est devenue un grand rendez-vous avec des programmes dans 190 pays. J'ai voyagé pendant six décennies et je connais la valeur du jazz et son impact. Si le jazz est né aux États-Unis, cette musique est célébrée par toutes les nations et appartient au monde entier.

Vous allez diriger de nombreux musiciens venus du monde entier, du Mozambique au Chili en passant par la Suède et la Corée… Comment s’organise-t-on pour performer ensemble quand de telles distances vous séparent ?

Nous avons, à l'Institut Herbie Hancock, une équipe qui coordonne des évènements à travers le monde. En ce qui concerne le travail avec des musiciens de culture différente, je ne me suis jamais inquiété de jouer avec eux, car la musique est notre langage. Sur scène, nous nous retrouvons tous grâce à elle. Peu importent nos origines, nous faisons tous partie de la même famille qu'est l'humanité. Quand nous produisons un morceau ensemble, nous bâtissons des ponts entre les cultures. C'est le pouvoir de la musique qui est de rassembler les gens.

Quelles musiques comptez-vous jouer lors de la représentation? Pourquoi avoir choisi ces morceaux-là ? Quelle place laisserez-vous à l’improvisation ?

Le grand musicien John Beasley est le directeur musical de la Journée internationale du jazz depuis de longues années, et fait partie de l'aventure depuis le premier jour. Il travaille en collaboration avec les artistes et l'équipe de l'évènement pour choisir les morceaux qui seront joués. Bien sûr, puisque nous parlons de jazz, l'improvisation aura une place centrale. À travers l'improvisation, chacun est capable de faire entendre sa voix, et tous peuvent entendre la personnalité et l'individualité des musiciens. C'est la spécificité du jazz qui rend chaque performance unique, et, pendant que nous répétons et jouons, tous ces styles musicaux du monde entier se mélangent et s'unissent.

Ce rendez-vous est aussi l’occasion de faire connaître le jazz à travers des activités éducatives, en ferez-vous partie ?

Bien sûr ! Je m'implique toujours dans les programmes d'éducation et Tanger n'échappera pas à la règle. J'ai appris la musique grâce à de plus vieux artistes que moi, des mentors, comme Donald Byrd et Miles Davis. Il est très important pour moi de transmettre l'héritage de sagesse et de savoir qu'ils ont partagé avec moi.

 

INTERVIEW CONDUIT PAR MARIN DANIEL-THEZARD EN COORDINATION AVEC LE BUREAU DE L'UNESCO POUR LE MAGHREB POUR LE MAGAZINE TELQUEL