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À 50 ans, le programme de géosciences de l'UNESCO fait le lien entre le bien-être planétaire et le bien-être humain

Si les 10 000 géoscientifiques membres du réseau mondial de l'UNESCO s'étaient tous présentés à la conférence organisée à l'occasion du 50e anniversaire du Programme international de géosciences, l'UNESCO aurait eu besoin de plus de 20 salles de réunion pour les accueillir. C'est ainsi qu'environ 400 personnes se sont pressées au siège de l'UNESCO à Paris pour la conférence anniversaire du 16 mars. Le thème de la conférence était « Guérir la Terre », en clin d'œil à l'importance croissante accordée par le programme à l'intégration du bien-être de la planète et du bien-être de l'humain.
Des scientifiques du Service géologique indonésien installent une station de surveillance sismique.

La géologie médicale : un domaine relativement nouveau

Peu de gens savent qu'il y a quelques décennies, le Programme international de géosciences a contribué à la création de la géologie médicale, une discipline qui cherche à comprendre l'impact de l'environnement naturel sur la santé.

Aujourd'hui, plusieurs projets de recherche soutenus par le Programme international de géosciences sont axés sur la géologie médicale. L’un de ces projets étudie l'impact de l'arsenic sur les communautés en Bolivie ; en effet, l'arsenic est contenu les roches et le sol et peut être transporté par l'eau, affectant la santé de 140 millions de personnes dans le monde. L'exposition à long terme à l'arsenic présent dans l'eau potable et les aliments peut provoquer des cancers et des lésions cutanées.

Un second projet a permis de décrypter l'origine des fortes concentrations de sulfates et de nitrates dans l'aquifère d'Ali-Sabieh à Djibouti, qui provoquaient la méthémoglobinémie, ou le phénomène du « bébé bleu ». Ce projet a été mis en œuvre par le Centre d'études et de recherches de Djibouti en collaboration avec des géoscientifiques de la République de Corée et de l'UNESCO.

Comme toutes les recherches menées dans le cadre du programme international de géosciences, ces projets ont été soutenus conjointement par l'UNESCO et l'Union internationale des sciences géologiques.

Lorsque l'on pense aux sciences géologiques, on pense rarement à la santé, mais la profession se concentre de plus en plus sur la durabilité et le bien-être des humains et des animaux. La professeure Hassina Mouri, de l'Université de Johannesburg, en Afrique du Sud, a expliqué lors de la conférence qu'elle avait suivi une formation de géologue métamorphique avant de s'orienter vers la géologie médicale « parce que je voulais contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable ».

« Nous faisons de la géologie parce que nous voulons créer une planète sûre et saine », a déclaré le professeur John Ludden, président de l'Union internationale des sciences géologiques, lors de la conférence. Toutefois, pour favoriser la durabilité, « nous devons encore mieux comprendre notre Terre dynamique », a-t-il ajouté.

Ces deux impératifs ne s'excluent pas mutuellement. Dans le domaine de la sismologie, par exemple, on observe une évolution vers une compréhension non seulement des risques géologiques, mais aussi de la manière dont ces risques peuvent affecter les populations. Un projet s'efforce d'améliorer à la fois les connaissances géologiques et l'évaluation du risque sismique pour les populations vivant dans la ceinture volcanique transméxicaine, qui couvre le centre et le sud du Mexique, et, d'autre part, sur la limite nord de la plaque sud-américaine, qui s'étend de l'Équateur à la Colombie et au Vénézuéla.

Les défis ne manquent pas pour les géoscientifiques

Xing Qu, Directeur général adjoint de l'UNESCO, a déclaré dans son discours d'ouverture : "Développons les géosciences dont nous avons besoin pour le monde que nous voulons".

Les défis ne manquent pas. Combien de bâtiments ont des fondations instables dues à des facteurs géologiques, par exemple ? La citadelle de Qaitbay est une forteresse défensive construite à la fin du XVe siècle sur le site du phare de Pharos à Alexandrie, en Égypte. Un projet de recherche soutenu par le programme international de géosciences étudie l'effet de l'érosion causée par l'action de sources souterraines sur les fondations du bâtiment.

Les géoscientifiques jouent un rôle essentiel dans la localisation et la gestion de l'eau souterraine, qui s'écoule à travers la roche dans ce que l'on appelle les aquifères. Les nappes phréatiques peu profondes deviennent une source d'eau douce de plus en plus vitale, car les lacs et les rivières diminuent dans de nombreuses régions du monde en raison d'un climat plus chaud et plus sec. Jusqu'à présent, quelque 468 aquifères ont été découverts de part et d'autre de la frontière de deux pays ou plus, mais il y en a probablement davantage.

Les géosciences peuvent contribuer à réduire les émissions de carbone en développant l'énergie géothermique. Cependant, seule une minorité de pays utilise actuellement cette source d'énergie pour produire de l'électricité. Ce chiffre pourrait être bien plus élevé, car l'énergie géothermique est présente partout sur Terre. Ce qui freine de nombreux pays, c'est le coût et la complexité de l'extraction de la chaleur qui circule dans le sous-sol sous forme d'eau chaude. Cette eau chaude se trouve à une profondeur d'environ 500 m mais, dans certains pays, il faut parfois forer jusqu'à 5 000 m pour l'atteindre.

C'est pourquoi la coopération internationale est si importante. Les géoscientifiques des pays disposant d'équipements plus sophistiqués peuvent travailler avec leurs pairs des pays en développement pour trouver des solutions adaptées au contexte local. Quelque 43 % des chercheurs soutenus par le programme international de géosciences de l'UNESCO sont originaires de pays en développement.

« C'est la période la plus passionnante pour un géologue »

Lisa Rebora, vice-présidente principale des activités émergentes et futures chez Equinor, une entreprise norvégienne qui développe le captage et le stockage du carbone, a déclaré : « C'est l'époque la plus passionnante pour être géologue, car on peut vraiment faire la différence. Environ 80 % de l'énergie provient encore des combustibles fossiles. Il faudra que tout le monde mette la main à la pâte pour réduire ce ratio à 20 % d'ici à 2050. »

Elle a ajouté que « actuellement, 65 millions de personnes travaillent dans le secteur de l'énergie. D'ici à 2050, la moitié d'entre elles devront passer à des sources d'énergie renouvelables et à faible teneur en carbone. »

L'une des raisons pour lesquelles les inscriptions universitaires en géosciences sont en baisse dans de nombreux pays est que « les jeunes sont rebutés par la perspective de travailler dans le pétrole, le gaz ou l'exploitation minière », a observé le professeur Iain Stewart, titulaire de la chaire UNESCO en géosciences pour la société et professeur de communication en géosciences à l'Université de Plymouth au Royaume-Uni, ainsi que titulaire de la chaire de recherche El Hassan bin Talal sur la durabilité à la Royal Scientific Society en Jordanie. Nous devons expliquer aux jeunes qu'il existe aujourd'hui des possibilités de carrière dans les géosciences qui placent l'humain et la planète au premier plan.

Pour le professeur Stewart, « les géosciences doivent aller au-delà des préoccupations immédiates de la transition énergétique et de l'économie à faible émission de carbone pour adopter un programme plus radical de "géosciences durables" qui s'attaque aux grands défis du développement durable, en particulier la faim zéro, la pauvreté zéro et la santé ».

Il est l'un des auteurs de Geoscience in Action : Advancing Sustainable Development, un guide pratique élaboré par une équipe de l'American Geophysical Union (AGU) dirigée par la Dr Maria Angela Capello, qui présente les différentes façons dont les géoscientifiques contribuent au développement durable. Une étude de cas décrit comment les géoscientifiques ont collaboré avec les autorités indiennes pour utiliser le débordement des plaines inondables afin d'atténuer les pénuries d'eau à Delhi. Le guide a été publié conjointement par l'UNESCO et l'AGU.

Geoscience in action: advancing sustainable development
UNESCO
American Geophysical Union
2023
UNESCO
0000384826

Les géoscientifiques évaluent les sites ayant un potentiel de géoparc

« Bien que la géodiversité et le géopatrimoine fassent partie intégrante des géosciences, ces concepts sont encore nouveaux en Afrique. C'est pourquoi le Programme international pour les géosciences et les géoparcs prépare le terrain pour le développement des géoparcs en Afrique en offrant une formation sur la manière de dresser un inventaire du géopatrimoine et d'évaluer les sites candidats », a expliqué le Dr Ozlem Adiyaman Lopes, spécialiste du programme à l'UNESCO.

Lors de la conférence, la Dr Rokhaya Samba Diene, présidente de l'Organisation des services géologiques africains, a exprimé l'espoir que l'UNESCO continue à former le personnel des services géologiques africains au concept de géoparc. Elle a souligné la nécessité pour les décideurs et le grand public de prendre conscience que la géodiversité est à la base de notre survie sur cette planète. La meilleure façon de sensibiliser le public serait de créer davantage de géoparcs en Afrique, a-t-elle déclaré. Il existe actuellement deux géoparcs en Afrique.

Pour le Dr Nabil Mohamed Ahmed, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche de la République de Djibouti, la priorité est que les géoscientifiques d'Afrique de l'Est collaborent davantage dans le cadre d'un programme de recherche régional. Il a invité l'UNESCO à soutenir les géoscientifiques d'Afrique de l'Est qui pourraient être intéressés par une collaboration avec l'Observatoire régional de recherche sur l'environnement et le changement climatique, qui a ouvert ses portes à Djibouti en novembre dernier. L'objectif serait d'encourager les partenariats et la mise en réseau, en mettant l'accent sur la formation des scientifiques et des étudiants et en facilitant leur mobilité.

Geertje Schuitema, de l'University College Dublin (Irlande), a plaidé en faveur de la conception de cours de formation réunissant géologues et spécialistes des sciences sociales. Il serait erroné de supposer que les communautés locales acceptent automatiquement les options proposées pour leur transition énergétique, a-t-elle déclaré, d'où l'importance d'écouter leur point de vue. Psychologue de l'environnement, elle est directrice de l'école d'été internationale Researching Social Theories, Resources and Environment (ReSToRE - Recherche sur les théories sociales, les ressources et l'environnement), organisée sous le patronage de l'UNESCO, qui facilite un débat mondial et multidisciplinaire sur la manière de concilier les différents points de vue sur la façon la plus astucieuse d'utiliser les ressources de la Terre.

De quoi faire réfléchir - et ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses idées partagées lors de la conférence qui pourraient aider à tracer la voie pour les 50 prochaines années du Programme international de géosciences de l'UNESCO.

Ces idées viendront s'ajouter à celles des « leaders d'opinion » interviewés par le professeur Stewart et publiées sous la forme d'un blog dans le cadre d'un projet sur l'avenir des géosciences soutenu par le Programme international de géosciences.

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