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Histoire

J'avais l'impression qu'il y avait quelqu'un dans ma tête et que ce n'était pas moi.

L’UNESCO mène un débat mondial sur la régulation du secteur des neurotechnologies. En plein essor, ce secteur reste pourtant encore une « boîte noire ». Nous en savons peu sur les conséquences du déchiffrage et de la manipulation de nos cerveaux. Il existe même un risque que notre sentiment d’autonomie personnelle soit intrinsèquement altéré.

Ces vingt dernières années, les chercheurs en neurotechnologies ont réalisé des progrès considérables, qui ont permis à des patients souffrant d’épilepsie et réfractaire aux traitements, de vivre avec leur maladie. Depuis le début des années 2000, des essais cliniques ont été menés sur des appareils conçus pour émettre un signal lorsqu’ils détectent une crise d’épilepsie sur le point de survenir. L’avertissement donne au patient le temps de s’allonger sur un lit ou sur un canapé, afin d’éviter toute blessure grave au moment des convulsions physiques de la crise.

L’appareil est constitué d’une bande en silicone couverte d’électrodes, placée à la surface du cerveau du patient. Elle est connectée par des fils sous-cutanés à un boîtier implanté sous la poitrine, qui capte l’activité neuronale et émet un signal d’alerte lorsqu’il détecte le début d’une crise d’épilepsie.

Au début des essais cliniques, beaucoup de patients épileptiques se sont portés volontaires pour tester cet appareil, enthousiastes à l’idée des changements que cette avancée scientifique pourrait apporter dans leur vie.

Permettre aux patients épileptiques de reprendre le contrôle de leur propre sécurité est une bonne chose. Pourtant, cette avancée pourrait se faire aux dépens de leur individualité.  Parmi les volontaires des essais cliniques, certains déclarent avoir ressenti une dilution de leur identité et de leur autonomie, un constat très inquiétant.

Le témoignage d’Hannah Galvin apporte un nouvel éclairage sur la question.

Hannah a été diagnostiquée épileptique à l’âge de 16 ans. Ses crises étaient si violentes qu’elle a dû abandonner son rêve de devenir danseuse classique.  Pour reprendre les rênes de sa vie, elle a choisi de se faire opérer et d'installer un dispositif neurologique invasif à l’intérieur de son crâne, à la surface de son cerveau. Mais l’appareil n’a pas eu les effets auxquels elle s’attendait et elle a vite eu l’impression d’avoir « quelqu’un à l’intérieur de sa tête ».

Hannah Galvin

Quelles conséquences a eu l’épilepsie sur votre vie ?

L’épilepsie a transformé ma vie. Du monde des possibles au néant. J’ai connu tous les types de crises d’épilepsie. De la plus courte à la plus longue. J’étais une fille de 16 ans, travailleuse et heureuse d’aller à l’école, et je suis tombée dans une profonde dépression. J’ai pris tous les traitements possibles. Rien n’a fonctionné. 

Quand avez-vous entendu parler d’un traitement basé sur les neurotechnologies ?

J’avais toujours l’espoir de pratiquer la danse classique. J’aurais tenté n’importe quoi, simplement pour rendre possible ma carrière de danseuse. Cette opération du cerveau devait me guérir. Son objectif est de faire un électroencéphalogramme (EEG), mais directement sur le cerveau et non pas sur le crâne. Un tube est relié par la gorge à un dispositif dans la poitrine, chargé de récolter les données. Enfin, on place un autre appareil à l’extérieur du corps pour annoncer l’arrivée d’une crise avec un signal sonore et trois lumières rouges. Comme ça, on sait à quel moment il faut s’allonger.

Quelle a été votre première impression de ce dispositif, après son installation ?

 Dès le départ, je ne l’ai pas apprécié. Je trouvais qu’il faisait trop de lumière. Je ne m’étais jamais rendu compte du nombre de crises d’épilepsie que je faisais. Avec moi, l’appareil sonnait toutes les deux secondes. Il clignotait rouge, je devais alors le sortir pour l’éteindre, mais il s'allumait de nouveau. À l’université, cela m’a déprimée. Je n’ai prévenu aucun de mes professeurs pour le dispositif, j’ai commencé à cacher mon épilepsie. Je suis devenue de plus en plus déprimée.

J’avais l'impression qu’il y avait quelqu’un dans mon cerveau, que ce n’était pas moi. Ma dépression n’a pas cessé d’empirer. Je n’aimais pas du tout cette situation.

À quel moment avez-vous envisagé de le faire retirer ?

Comme il se déclenchait tout le temps, je pensais qu’il ne marchait pas. Je suis retournée à l’hôpital pour le faire vérifier et on m’a dit qu’il fonctionnait correctement. C’est à ce moment que j’ai réalisé le nombre de crises d’épilepsie que je faisais. Quand j’ai compris que j’en faisais plus d’une centaine par jour, j’ai voulu jeter l’appareil par la fenêtre. Je le détestais, je voulais qu’il disparaisse.

Il se déclenchait tellement souvent que je pensais n’avoir plus que deux choix. D’un côté, j'aurais pu écouter le dispositif et m’allonger sur un lit d’hôpital pour toujours. C’est ce qu’il me disait, que je n’étais pas vraiment en vie. J'avais aussi le choix de le jeter par la fenêtre et me dire que j’allais quand même vivre, avec mes crises, et profiter de la vie malgré tout.

Quel conseil pourriez-vous donner aux autres patients épileptiques qui envisagent un traitement neurotechnologique ?

Je tiens vraiment à prévenir les gens dont l’épilepsie est aussi sévère que la mienne que ce traitement n’est pas fait pour eux. Ils auraient simplement l’impression que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Je pense qu’il faut parler plus ouvertement des aspects négatifs. Les gens doivent être bien mieux informés avant de prendre leur décision.

Mais je dois dire que j’ai aussi entendu des témoignages positifs, de personnes qui estiment que le traitement a changé leur vie. Pour quelqu’un qui fait une crise tous les trois mois, il peut être utile de savoir quand s’allonger. Mais si vous faites autant de crises que moi, il faut aussi considérer les points négatifs. Vous serez constamment surpris par ce bruit qui vient de vous. Vous aurez constamment quelqu’un dans votre tête, quelqu'un qui n’est pas vous.