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A l'horizon | De la différenciation à la coopération : la diplomatie culturelle au service du développement durable

La culture imprègne de plus en plus les relations internationales et les politiques liées aux affaires étrangères. La diplomatie culturelle est employée par les pays pour promouvoir leurs spécificités culturelles, contribuant ainsi à valoriser la diversité culturelle du monde tout en ouvrant la voie à la coopération et au dialogue. Dans un contexte de mondialisation, marqué par une interdépendance croissante des pays, la diplomatie culturelle peut se révéler un instrument essentiel de paix et de stabilité. En soutenant la compréhension mutuelle, la confiance et l’exposition à la diversité culturelle, elle permet d’améliorer les relations internationales dans de nombreux domaines de coopération. Cette forme unique de dialogue interculturel a le pouvoir de renforcer et renouveler la coopération multilatérale, au-delà des intérêts concurrents, pour œuvrer en faveur des biens publics mondiaux. La diplomatie culturelle permet aussi d’aborder certains des enjeux urgents de notre époque, tels que la désinformation, les inégalités sociales, les conflits et le changement climatique.

De nouveaux modèles de diplomatie culturelle, voient le jour. Mutuellement bénéfiques pour les pays concernés, ils s'appuient sur la culture comme une ressource pour la cohésion sociale et le dialogue. Historiquement, le rôle de la diplomatie culturelle consistait à « séduire les cœurs et les esprits » à des fins stratégiques. Elle a même parfois pu être instrumentalisée à des fins clivantes. La diplomatie culturelle contemporaine peut davantage être considérée comme une coopération à long terme et un partage de valeurs. Qu'il s'agisse de favoriser la mobilité des artistes pour promouvoir la diversité culturelle, de prêter des œuvres d’art aux musées pour forger une compréhension commune du passé, de mutualiser les compétences pour stimuler les industries culturelles ou de lancer des programmes linguistiques, les initiatives de diplomatie culturelle sont porteuses de multiples bénéfices en faveur de la citoyenneté mondiale. En outre, face à l’homogénéisation d’une culture mondialisée, la diplomatie culturelle peut aussi mettre en valeur les biens culturels nationaux et locaux d’un pays et ainsi promouvoir la diversité culturelle. La valorisation de la diversité culturelle améliore à son tour l'inclusion sociale et le bien-être grâce aux arts, à la créativité et au patrimoine culturel, avec pour résultats une participation accrue et le sentiment d'appartenir à une société. Alors que le poids économique du secteur culturel est désormais largement reconnu, les initiatives de la diplomatie culturelle peuvent être mises à profit pour dynamiser les atouts culturels et les secteurs créatifs d'un pays donné afin de soutenir l’emploi décent et de renforcer leur leadership économique.

Depuis sa création en 1945, l’UNESCO constitue une plate-forme internationale privilégiée au service de la diplomatie culturelle. Le principe fondateur du « libre échange des idées et des connaissances, décident de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples en vue de se mieux comprendre et d’acquérir une connaissance plus précise et plus vraie de leurs coutumes respectives. » est au cœur de sa Constitution. En s’appuyant notamment sur ses instruments normatifs et ses programmes, l'UNESCO accompagne la diplomatie culturelle, en ouvrant de nouveaux espaces de dialogue sur des questions complexes et parfois sensibles liées à la culture, à la créativité et au patrimoine, œuvrant ainsi en faveur du consensus et proposant des cadres d'intervention. 

La diplomatie culturelle : un vecteur de dialogue unique

Différentes formes de diplomatie culturelle ont émergé au fil des siècles. Les explorateurs, les voyageurs, les commerçants, les enseignants et les artistes ont ainsi été les premiers « diplomates culturels ». Les documents de la liste Mémoire du monde de l'UNESCO, notamment ceux relatifs à la construction de la paix et aux échanges culturels entre la Corée et le Japon du 17e au 19e siècle, témoignent d'échanges officiels entre les gouvernements depuis la naissance de l'État moderne. La diplomatie culturelle a été utilisée par de nombreux pays européens comme un gage de fierté et de courtoisie et/ou pour nouer des alliances politiques. À la fin du XIXe siècle, des pays comme la France (1883) et l’Italie (1889) ont commencé à créer des réseaux d’institutions afin de promouvoir leurs cultures et leurs langues à l’étranger. Certains pays, comme le Brésil, ont commencé à établir des relations culturelles dès les années 1920. Le Brésil souhaitait promouvoir son image à l’étranger – en particulier en Amérique du Nord, en Europe et en Amérique latine – mais aussi renouer avec ses racines historiques en Afrique subsaharienne dans les décennies qui ont suivi, signalant ainsi le début de stratégies qui avaient une finalité la fois extérieure (liée à la politique étrangère) et domestique (en particulier la construction nationale dans un contexte de diversité). Les années 1920 ont également modifié les contours de la diplomatie culturelle, les émissions de radio en langues étrangères servant de véhicules aux messages culturels auprès des populations étrangères. Au cours de l’histoire, la culture a parfois été instrumentalisée dans un contexte géopolitique de compétition entre les pays.

Après les indépendances, certains pays ont axé leur politique étrangère sur la culture, ou basé leurs politiques de développement sur une coopération culturelle inter-États. La diplomatie culturelle était une façon de faire face aux épisodes sombres d’un passé marqué par la discrimination. Par exemple, la stratégie de politique étrangère du Sénégal a privilégié l’idée de « culture-paix », faisant du dialogue interculturel l’un de ses principaux piliers, et donnant la priorité au « soft power » au détriment de l’approche coercitive (« hard power »). Cette approche du « dialogue d'abord » a souvent fait du Sénégal le porte-parole de la région sur la scène internationale. Dans les Caraïbes, la culture a été la pierre angulaire des politiques nationales de développement. Une forte dimension multilatérale régionale a émergé suite aux initiatives de diplomatie culturelle, notamment à l’occasion de festivals tels que le Festival caribéen des arts - CARIFESTA (1972), forgeant des relations inter-étatiques par le biais des arts. Ces événements culturels ont contribué à la dynamique régionale à l’origine de la création de la Communauté caribéenne (CARICOM), qui œuvre dans différents domaines des politiques publiques.

 

La diplomatie culturelle comme « l’échange d’idées, d’informations, d’art, de langues et d’autres aspects de la culture entre les nations et les peuples afin de favoriser la compréhension mutuelle »
Milton Cummings

Bien qu'il recouvre une pratique établie de longue date désignant les différentes formes de relations culturelles entre États, le terme de « diplomatie culturelle » n'a été créé que récemment. S’appuyant sur la notion de « soft power », forgée dans les années 1980 par Joseph Nye, Milton Cummings a proposé une définition de la diplomatie culturelle comme étant « l’échange d’idées, d’informations, d’art, de langues et d’autres aspects de la culture entre les nations et les peuples afin de favoriser la compréhension mutuelle ». La diplomatie culturelle englobe un large éventail de pratiques ayant des objectifs différents, qu’il s’agisse de forger des alliances, de stimuler le développement économique ou encore de soutenir la paix et la sécurité. John Lenczowski évoque différents instruments au service de la diplomatie culturelle, notamment les arts, les expositions, les échanges, les programmes éducatifs, la littérature, l'enseignement des langues, la diffusion d’émissions, les présents officiels, la promotion des idées (par exemple l'État de droit), la promotion de la politique sociale (par exemple les campagnes contre le VIH), l'histoire ou encore la diplomatie religieuse (par exemple le dialogue interreligieux). 

Au-delà des processus dirigés par l'État, la diplomatie culturelle fait entrer en jeu un large éventail d'acteurs non gouvernementaux tels que des artistes, des conservateurs, des journalistes, des enseignants, des conférenciers et des étudiants qui soutiennent ou amplifient ces processus, différenciant ainsi la diplomatie culturelle des autres domaines de la diplomatie. Les biennales internationales d'art, par exemple, reposent sur des artistes et des conservateurs. Le Fulbright Foreign Student Programme des États-Unis d’Amérique ou le programme ERASMUS d’échange d’étudiants de l’Union européenne sont également des outils qui favorisent les échanges culturels et permettent de construire des valeurs mutuelles, tandis que les radios du service public influencent également la coopération culturelle. Le rôle croissant des acteurs non étatiques transforme les relations internationales, accélérant en particulier la circulation des idées. Les organisations de la société civile ont souvent plus de flexibilité pour mener à bien des échanges et des programmes. Ces relations culturelles se déploient parfois de façon plus fluide que lorsqu’elles sont soumises à des objectifs stratégiques de politique étrangère encadrés par la diplomatie culturelle. L'Institut pour la diplomatie culturelle (Institute for Cultural Diplomacy) reconnaît même une diplomatie culturelle du secteur privé. Au vu de l’engagement croissant en faveur de la responsabilité sociale des entreprises, la capacité à comprendre et à reconnaître la diversité des cultures et des sociétés acquiert une importance grandissante.

Les musées sont des vecteurs particulièrement efficaces pour la diplomatie culturelle, en tant qu’institutions ancrées de façon durable dans le paysage culturel, susceptible d’influencer les valeurs sociétales. Espaces d’éducation civique au servie d’un large public, les musées mettent leur public en présence de la diversité du monde, œuvrant ainsi à la compréhension et au dialogue entre les cultures. C’est le cas du Musée canadien pour les droits de la personne sur la question du génocide et la Maison de la mémoire (Casa de la Memoria) en Colombie établie à l’issue du conflit armé. Ouvert en 2017, le Louvre Abu Dhabi est le premier musée au monde né d’un accord diplomatique conclu entre la France et les Émirats arabes unis. Sa mission est de favoriser un dialogue entre les civilisations. Des réseaux de musées, tels que l’Ibermuseos du SEGIB (Secrétariat général ibéro-américain), collaborent et partagent leur savoir-faire afin de renforcer le patrimoine muséologique et le rôle des musées dans les sociétés.

 

Bien que la diplomatie culturelle soit traditionnellement conduite par l'État et ancrée dans des processus bilatéraux, elle gagne également du terrain au niveau local, favorisant de nouvelles formes de coopération et de mise en réseau des acteurs de la culture à travers le monde. Les échanges entre villes peuvent stimuler la coopération et le leadership et permettent aussi de mutualiser l'expertise, remodelant par là même les modèles de gouvernance du secteur culturel, en particulier dans le contexte de la reprise après la pandémie. Les villes sont des laboratoires accueillant de nouveaux modèles de coopération culturelle et leur proximité avec les citoyens permet de mettre en œuvre des politiques et des initiatives plus réactives et innovantes. Le Réseau des villes créatives de l'UNESCO (UCCN), par exemple, regroupe 246 villes du monde entier pour intégrer les secteurs culturels et créatifs à leur développement local et permettre à ces villes de promouvoir leur culture. De même, le Programme des villes du patrimoine mondial de l'UNESCO rassemble les sites urbains du patrimoine mondial. Il favorise le partage d’expériences et apporte une assistance pour accompagner la conservation de ces sites. Le Maroc a su valoriser l’espace urbain au travers de festivals culturels, comme le Festival International du Film de Marrakech ou le Festival Mawazine Rythmes du Monde de Rabat, qui rassemblent des artistes et visiteurs internationaux, tout en mettant en valeur le statut international des villes hôtes.

Par ailleurs, les technologies numériques transforment les approches de la diplomatie culturelle, car les plateformes numériques ne sont plus de simples vecteurs de visibilité et de diffusion des messages et de l’information, mais aussi un moyen de faire participer les publics. L’émergence d’une « diplomatie culturelle en réseau » fait écho à l’empreinte croissante des technologies numériques. Par exemple, les ministères de la culture d’Oman et de la Chine ont récemment organisé une semaine d’échange culturel numérique pour les jeunes, les artistes et les entrepreneurs afin de partager des expériences et de développer la coopération culturelle entre leurs deux pays. La pandémie a particulièrement accentué la demande et l’offre dans l’espace numérique et ouvert de nouvelles voies à la diplomatie culturelle, comme en témoigne, par exemple, la visite en direct commentée en chinois organisée par le Victoria and Albert (V & A) Museum de Londres en août 2020, sur la plateforme Kuaishou.

 

 

De la différenciation à la coopération

Si l’objectif premier de la diplomatie culturelle reste la promotion des intérêts nationaux, on observe cependant un glissement perceptible vers des modèles mutuellement bénéfiques, visant à forger les bases de confiance, en faveur de la coopération et du partenariat. L’enjeu est alors moins de « se différencier » mais de « rechercher la coopération », pour citer les termes utilisés dans cette étude. Une véritable diplomatie culturelle est désormais un processus de communication bidirectionnel, qui implique non seulement de projeter l'image et les valeurs d'un pays auprès d'autres pays, mais aussi de s'efforcer d’en comprendre la culture, les valeurs et les images. Ainsi, la culture peut ouvrir de nouvelles voies à la diplomatie, en permettant d’engager le dialogue. L’inscription conjointe de la part des deux Corées d’un sport traditionnel coréen sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2018 reflète par exemple ce processus. L'UNESCO a soutenu la demande conjointe de la République populaire démocratique de Corée et de la République de Corée, offrant un espace pour cette étape symbolique de la réconciliation entre les deux Corées. Cette inscription illustre le pouvoir du patrimoine culturel en tant qu’instrument de paix et passerelle entre les peuples. 

Dans certains cas, la diplomatie culturelle peut également viser directement ou indirectement des avantages économiques, car elle est perçue comme un levier pour stimuler les exportations. Le Viet Nam a lancé en 2021 une nouvelle stratégie de diplomatie culturelle destinée à valoriser la culture au service du développement économique, mais aussi pour accroître l’influence du pays et diffuser ses valeurs culturelles à travers le monde. La Chine et la Nouvelle-Zélande ont lancé, par ailleurs, en 2015 un projet de promotion du tourisme à travers une initiative muséale : le Musée national Te Papa a organisé des expositions au Musée national de Chine, et vice-versa. Le Pérou a été l’un des premiers adeptes de la « gastro-diplomatie », utilisant sa gastronomie nationale comme élément de sa diplomatie publique. Sa campagne « La cuisine péruvienne pour le monde » (« Cocina peruana para el mundo » en espagnol) a ainsi mis à profit la gastronomie pour créer une image de marque nationale et l’exporter à travers le monde. Une composante majeure de cette politique visait à protéger le patrimoine culturel du pays, mais aussi à promouvoir l'exportation de produits péruviens, tels que le cacao et le quinoa, ainsi qu'à encourager l'ouverture de restaurants péruviens à l'étranger pour multiplier les opportunités économiques. D'autres pays valorisent également leurs traditions culinaires partagées, comme l’illustre l’inscription en 2020 des « savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et à la consommation du couscous » sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO par l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie.

Le terme de « diplomatie culturelle » s’est considérablement élargi ces dernières années, englobant également le développement social. Le rôle de la culture au service de la participation, de l'inclusion sociale, du bien-être et de la liberté d'expression est largement établi. Les programmes de diplomatie culturelle abordent désormais des questions telles que la cohésion sociale, le racisme, les inégalités, la discrimination contre les minorités et les migrants, la dimension culturelle des problèmes interreligieux ou encore les processus de réconciliation post-conflit. La stratégie de diplomatie culturelle 2018 du Panama, par exemple, « positionne la culture comme une ressource du développement durable non seulement dans les espaces nationaux de consolidation, mais aussi à un niveau régional et international » et est enracinée dans les droits culturels et le Programme 2030. 

Les gouvernements nationaux font aujourd’hui évoluer et affinent les modèles traditionnels de la diplomatie, y compris de leurs stratégies de diplomatie culturelle. Depuis 2007, la Chine a déployé d’importants efforts « pour faire connaître les traditions de la culture chinoise et renforcer les échanges culturels internationaux afin d’accroître l’influence de la culture chinoise à travers le monde », suscitant notamment la création de nouveaux groupes de réflexion, cours universitaires et associations. Le programme chinois de la Nouvelle route de la soie (OBOR - One Belt One Road) constitue l'une des plus vastes initiatives mondiales de « soft power », qui comprend un important volet culturel et éducatif destiné à s'appuyer sur l'héritage historique des liens culturels nés de l’ancien commerce de la soie. Le plan « Qatar National Vision 2030 » (2008) appelle à un approfondissement « des échanges culturels avec les peuples arabes en particulier » et à refléter le rôle du Qatar en tant que « membre responsable de la communauté internationale », liant explicitement la culture et le sport. D'autres pays ont intégré la diplomatie culturelle aux axes stratégiques de leur ministère des Affaires étrangères et lui consacrent une direction dédiée au sein de leur ministère des Affaires étrangères, attestant du pouvoir de la culture pour faire progresser la coopération, ainsi que les investissements et le commerce. Le nouveau cadre de politique étrangère 2021 de la Malaisie, par exemple, incluait des approches de diplomatie culturelle. 

Signe de cette tendance, de nouveaux instituts dédiés à la diplomatie culturelle ont vu le jour. Ces instituts, qui étaient traditionnellement davantage le fait de pays européens, sont apparus dans de nombreux pays à travers le monde : on peut citer ainsi le Centre Peres pour la Paix (Israël 1996), la Fondation Rousskii Mir de Russie (2007), l’Institut Confucius (Chine, 2004), l’Institut Yunus Emre - Centre Culturel de Turquie (Turquie, 2007) et les Centres culturels coréens (République de Corée, 2009). Ces différents instituts, et politiques de diplomatie culturelle sur lesquelles ils s’appuient, déploient diverses approches. Par exemple, le Royaume-Uni privilégie l’éducation, la France et l’Allemagne mettent l’accent sur la langue et le Canada se concentrent sur la diversité de son développement culturel. Certaines fondations culturelles établissent des passerelles entre de nombreux pays, comme la Fondation Asie-Europe (ASEF), le Centre UE-Japon et la Fondation euro-méditerranéenne Anna-Lindh pour le dialogue entre les cultures, basée en Égypte, qui réunit 3000 organisations de la société civile pour contribuer au développement d'une stratégie interculturelle dans la région euro-méditerranéenne. L’Institut de la culture africaine et de la compréhension internationale (Institute for African culture and International Understanding en anglais), créé au Nigeria en 2007 sous l’égide de l’UNESCO, a également un rayonnement régional.

D’autres pays ont choisi d’investir dans des initiatives à long terme, comme le Projet Mausam de l’Inde dont l’objectif est de relier entre eux les pays de l’océan Indien à travers des systèmes de connaissances partagées, de traditions, de technologies et d’idées le long des routes maritimes. Le Kazakhstan accueille de longue date des conférences axées sur le dialogue interculturel et interreligieux, souvent organisées par le Centre international pour le rapprochement des cultures (ICRC), sous l’égide de l’UNESCO. Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a mis en place en 2012 un Programme international de diplomatie culturelle (Cultural Diplomacy International Programme en anglais) pour dynamiser le profil et les intérêts économiques, commerciaux, touristiques, diplomatiques et culturels de la Nouvelle-Zélande, notamment par le biais de l'exposition intitulée Tuku Iho organisée par le New Zealand Māori Arts and Crafts Institute (NZMACI) au Chili, en Argentine et au Brésil, ainsi que par le biais de visites d'artistes aux Samoa. En Afrique, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, au Burkina Faso (FESPACO), ainsi que la Biennale de Luanda, en Angola, favorisent également la coopération régionale. 

La diplomatie culturelle sur la scène internationale

L’arène multilatérale joue un rôle particulièrement vital pour la diplomatie culturelle, certains pays investissant de plus en plus dans des forums régionaux ou mondiaux. La diplomatie culturelle dans la sphère multilatérale a vu le jour sous la forme des Expositions universelles, dont la première a été accueillie en 1851 par le Royaume-Uni. Conçues à l'origine pour promouvoir l'industrie et l'identité nationale, les Expositions universelles ont été créées pour établir des liens entre les cultures et présenter les réalisations nationales dans tous les domaines de l'activité humaine. Depuis les années 2000, les priorités du système des Nations Unies ont orienté la sélection des thèmes des Expositions. L’Expo 2020 de Dubaï se déroule actuellement (après avoir été reportée en raison du confinement mondial) sous le thème « Connecter les Esprits, Construire le Futur » (« Connecting Minds, Creating the Future »). C’est aussi la première fois qu’elle est accueillie par un pays des États arabes. Des organisations telles que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) approfondissent les relations diplomatiques en s’efforçant de promouvoir la langue française. Le Commonwealth, pour sa part, vise à « influence[r] la société internationale au bénéfice de tous par la poursuite de principes et de valeurs communs ». Même une organisation dont le mandat porte sur le « hard power » comme l'OTAN a récemment lancé un programme de bourses dans le domaine de la diplomatie culturelle.

Au niveau régional, la culture est depuis longtemps un vecteur d'approfondissement de la coopération dans d'autres domaines des politiques publiques. Par exemple, la Charte de l’unité culturelle arabe de 1964 (Charter of Arab Cultural Unity) stipule que « l’unité culturelle et intellectuelle est la base principale sur laquelle l’unité arabe est construite », ce qui a conduit à la création de l’Organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences (Arab League Educational, Cultural and Scientific Organization - ALECSO) en 1970. En Afrique, la culture a rapidement été reconnue comme un élément important de l’Union africaine (UA), après la création de cette dernière en 2002 en remplacement de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, 1963-1999), notamment à travers la Charte de la Renaissance culturelle africaine de 2006. Cette Charte reconnaît le rôle important joué par la culture dans la mobilisation et l’unification des peuples autour d’idéaux communs et dans la promotion de la culture africaine pour construire les idéaux du panafricanisme. L'Année de l'UA des « arts, de la culture et du patrimoine : leviers pour construire l’Afrique que nous voulons » proclamée en 2021 est une nouvelle manifestation de cette volonté. De même, la Communauté des États indépendants (CIS) a créé en 2006 l’IFESCCO, la Fondation intergouvernementale pour la coopération dans l'éducation, la science et la culture. La pandémie a également accéléré la coopération culturelle au niveau régional. Par exemple, le bloc commercial sous-régional sud-américain, le MERCOSUR, coopère pour réaliser son premier exercice statistique conjoint concernant le secteur culturel. Pour leur part, les huit pays membres du Système d'intégration centraméricain (SICA) ont développé une stratégie d'intégration régionale axée sur la diplomatie culturelle. 

Les politiques et stratégies de diplomatie culturelle au niveau régional sont de plus en plus intégrées, comme l’atteste le plan stratégique de l’ANASE pour la culture et les arts 2016-2025. L'Union européenne (UE) déploie une stratégie régionale particulièrement structurée en matière de diplomatie culturelle. Pour commencer, elle a créé en 2006 le réseau EUNIC (Instituts culturels nationaux de l'Union européenne) dans quelque 150 pays. L’UE a par la suite entrepris, à partir de 2016, de consolider une stratégie régionale de diplomatie culturelle. La communication conjointe intitulée « Vers une stratégie de l’UE dans le domaine des relations culturelles internationales » reconnait explicitement la dimension sécuritaire de la culture comme instrument de « promotion de la paix et de lutte contre la radicalisation par le dialogue interculturel ». Elle a accéléré le positionnement proéminent de la culture en la plaçant au cœur de la politique étrangère et de sécurité de l'UE, amenant par exemple la branche de la politique étrangère de l’UE - le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) - à s'engager de manière plus stratégique sur les enjeux du patrimoine. En juin 2021, cela s’est traduit par l’adoption par l’UE d’une nouvelle approche à l’égard du patrimoine culturel en période de conflit et de crise, indiquant que l’UE consolide son rôle de premier plan dans ce domaine. 

 

 

 

L’UNESCO : une plateforme mondiale au service de la diplomatie culturelle

Les politiques des affaires étrangères s’engagent de façon croissante dans le champs de la culture et en faveur de la promotion de la diplomatie culturelle, notamment au regard de la valorisation des ressources culturelles nationales. La culture, dans ce domaine, ne se limite pas au champ des arts et du patrimoine, mais est comprise en tant qu’instrument de promotion du développement durable, du dialogue interculturel, de la paix et de la sécurité, de l'éducation à la citoyenneté mondiale, de l'inclusion sociale et de la durabilité environnementale. La récente déclaration historique du groupe économique du G20 témoigne de ce changement de perception de la culture comme moteur d'une transformation plus structurelles des politiques publiques. La politique de diplomatie culturelle de la République de Corée met non seulement en avant la promotion de la culture coréenne (Hallyu) à l’étranger, mais aussi l’amplification de ses efforts par l’intermédiaire de l’UNESCO. 

La participation aux travaux de l'UNESCO, par le biais des Conventions et de leurs Comités, permet non seulement aux États membres de promouvoir leurs richesses culturelles, mais contribue ainsi à la sauvegarde de la diversité culturelle. Cela peut passer par l'élargissement et l'approfondissement progressif des critères destinés à définir, encadrer et sauvegarder la culture et le patrimoine, et par un renforcement de la coopération sur des questions thématiques transversales, telles que la préservation de l'art rupestre ou du patrimoine de l’architecture de terre. Il existe également sur tous les continents une vingtaine d’Instituts et de Centres de catégorie II de l’UNESCO. Au travers d’activités de renforcement des capacités, de partage des connaissances et de travaux de recherche, ces instituts et centres apportent une contribution précieuse et unique au travail de l’UNESCO, contribuant à amplifier et accompagner la coopération régionale et la diplomatie culturelle. 

Forte de son mandat global sur la culture et la promotion de la libre circulation des idées et des images, l'UNESCO offre une plate-forme privilégiée à la diplomatie culturelle, ainsi que des cadres juridiques inscrits dans ses conventions et programmes. La place de la culture est telle dans les relations internationales que la Convention de l’UNESCO de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé a été le deuxième accord important négocié par l’ONU dans le domaine du droit international humanitaire, après la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. En 1966, dans le contexte de la Guerre froide, les États membres de l’UNESCO avaient adopté une Déclaration des principes de la coopération culturelle internationale. Son but était de remédier aux « grandes difficultés à se comprendre » éprouvées par des peuples différents « pratiques indésirables dans la conduite des relations internationales ». Elle montrait que la coopération culturelle devait contribuer « à établir entre les peuples des rapports stables et durables échappant aux tensions qui viendraient à se produire dans les relations internationales ». Le fait que la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972 soit la plus ratifiée de toutes les conventions internationales (avec 194 États parties) et la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003 ait été la plus rapidement ratifiée (avec 179 États parties en moins de 20 ans) témoigne de l'importance vitale de la culture pour le dialogue multilatéral. 

En encourageant les inscriptions multi-pays, par lesquelles le patrimoine culturel transcende les territoires et les pays, la Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO soutient directement les efforts de diplomatie culturelle. Pour citer quelques exemples, on trouve dans la Liste du patrimoine mondial le réseau de routes andin Qhapaq Nan (qui parcourt 30 000 km en franchissant six pays d’Amérique du Sud) et les Grandes villes d’eaux d’Europe (comprenant onze villes thermales, situées dans sept pays). L’œuvre architecturale de Le Corbusier unit plusieurs continents avec ses 17 réalisations en Europe, en Argentine, en Inde et au Japon. Au vu très grand nombre de sites répertoriés qui jalonnent les Routes de la soie, l’UNESCO dispose d’un programme dédié qui témoigne de ces routes historiques réputées pour la vitalité du commerce et leur riche histoire d’échanges pacifiques, tant culturels que religieux. 

De même, le nombre croissant d’inscriptions multinationales sur les Listes du patrimoine culturel immatériel de la Convention de 2003 de l’UNESCO témoigne de la circulation de la culture à travers les pays, encourageant également la coopération culturelle. Les exemples sont nombreux, de la course de dromadaires, pratique sociale et patrimoine festif associés aux dromadaires (Émirats arabes unis et Oman), de l'art musical des sonneurs de trompe, une technique instrumentale liée au chant, à la maîtrise du souffle, au vibrato, à la résonance des lieux et à la convivialité (France, Belgique, Luxembourg et Italie), à l’art de fabriquer et de jouer la mbira/sanza, lamellophone traditionnel au Malawi et au Zimbabwe, ou encore la pratique du tango en Argentine et en Uruguay. La fauconnerie a fait l’objet d’une inscription conjointe rassemblant pas moins de 24 pays (Émirats arabes unis, Autriche, Belgique, Croatie, Tchéquie, France, Allemagne, Hongrie, Irlande, Italie, Kazakhstan, République de Corée, Kirghizistan, Mongolie, Maroc, Pays-Bas, Pakistan, Pologne, Portugal, Qatar, Arabie saoudite, Slovaquie, Espagne et République arabe syrienne). En 2021, seize pays arabophones se sont associés en faveur de l’inscription conjointe de la  calligraphie arabe : connaissances, compétences et pratiques. La Journée internationale de Nowruz, qui marque le premier jour du printemps depuis plus de 3000 ans dans les Balkans, le bassin de la mer Noire, le Caucase, l’Asie centrale, le Moyen-Orient et d’autres régions, est également inscrite sur la liste représentative. Elle a été proclamée Journée internationale par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2010.

 

Le retour et la restitution des biens culturels sont devenus des enjeux de plus en plus importants en matière de diplomatie culturelle. La Convention de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, ratifiée par 141 États, fournit un cadre commun permettant non seulement aux pays de prendre des mesures pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert illicites de biens culturels, mais établissant aussi les conditions de leur retour et de leur restitution. Depuis son adoption, la collaboration croissante entre les services de police nationaux, ainsi que le travail d’Interpol, ont permis d’obtenir de nombreux retours d'objets victimes de pillages et de trafics illégaux. Parmi les exemples récents, citons la « Tablette de Gilgamesh », vieille de 3 500 ans, et qui est l’une des plus anciennes œuvres littéraires de l’histoire. La tablette a été officiellement remise à l’Iraq par les États-Unis d’Amérique, après avoir probablement été volée dans le pillage d’un musée pendant le conflit de 1991. Pour sa part, l’Italie a rendu un fragment du Parthénon à la Grèce. La remise volontaire d’un fragment d’une stèle maya du site archéologique de Piedras Negras, par une collectionneuse privée du Guatemala, illustre également une évolution de l’environnement international, rendue possible grâce à la coopération internationale du Guatemala, de la France et de l’UNESCO. Ces dernières années ont vu une augmentation des demandes de restitution d’artefacts de l’époque coloniale, qui reflète une évolution des discussions entre pays du Nord du Sud dans le sens d’un dialogue renouvelé sur la culture. La Convention de 1970 fournit un cadre à ces discussions de politiques publiques et encourage ces efforts bilatéraux.

La diplomatie culturelle favorise également l’échange de biens et services culturels, la mobilité des artistes et le respect de la liberté de l’artiste – une vision qui est au cœur de la Convention de 2005 de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. En fournissant un cadre légal pour faciliter un échange équilibré des biens et services culturels et encourager la mobilité des artistes, en particulier des pays en développement, la Convention de 2005 soutient le développement d’accords de coopération culturelle bilatéraux et multilatéraux ainsi que les activités d’échanges professionnels. Dans un contexte où la mobilité des artistes des pays du Sud est entravée par des politiques de visas de plus en plus restrictives – comme souligné dans le rapport de l’UNESCO intitulé Re|Penser les politiques culturelles publié en 2018 – de telles initiatives en faveur de la diplomatie culturelle sont particulièrement critiques

 

 

La diplomatie culturelle : un levier au service des alliances stratégiques

La diplomatie culturelle telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par les États a mis en avant le pouvoir de la culture et de la diversité culturelle comme une ressource dans les sociétés multiculturelles du monde contemporain. En plaçant la culture au centre, les initiatives de diplomatie culturelle sont de nature à encourager les investissements en faveur du secteur culturel, soutenir l’emploi et l’inclusion sociale. Les technologies numériques, la montée en puissance de la société civile, la recomposition de la coopération culturelle internationale ont donné naissance à de nouveaux modèles de diplomatie culturelle et suscité un engagement renouvelé des politiques publiques en faveur de la culture. En outre, une transition de l'auto-promotion au partage de valeurs s’est opérée, la diplomatie culturelle ciblant de façon croissante la valorisation des atouts culturels des pays et la reconnaissance des héritages historiques et sociaux, enracinés dans les pratiques des peuples et communautés.

De même qu’elle a vu ses priorités évoluer – de la promotion à la coopération – la diplomatie culturelle implique également une palette plus vaste et diverse d’acteurs. Bien que la diplomatie culturelle soit traditionnellement dirigée par l'État, de nouvelles formes de coopération et de mise en réseau des acteurs culturels gagnent du terrain au niveau local. Les échanges internationaux entre villes, représentant également une forme de diplomatie culturelle, peuvent favoriser la coopération et le leadership et mettre en commun une expertise mutuellement bénéfique. De même, la diplomatie culturelle au niveau régional est un levier de plus en plus important pour partager les valeurs ou l’expertise et accompagner l'intégration régionale. Ces formes de diplomatie culturelle à plusieurs niveaux ont la capacité à remodeler les modèles de gouvernance du secteur culturel, en particulier dans le contexte de la reprise après la pandémie.

Lorsqu’elle est fondée sur un engagement en faveur du dialogue interculturel et de la diversité culturelle, la diplomatie culturelle est de nature à renouveler le multilatéralisme, favorisant des modèles de coopération internationale plus inclusive et mutuellement bénéfiques. Les pays reconnaissent de façon croissante que valoriser la diversité culturelle du monde et contribuer au dialogue culturel – objectifs centraux des politiques contemporaines de diplomatie culturelle – sont des conditions critiques pour la construction de la paix et la sécurité, et ce a fortiori dans un monde de plus en plus fragmenté.

De telles approches de la diplomatie culturelle permettent aux pays d’identifier des valeurs culturelles et héritages communs, ouvrant la voie à des alliances renouvelées, et mettant ainsi en pratique les principes fondateurs de la Déclaration Universelle de l’UNESCO sur la Diversité Culturelle de 2001. Les nominations multi-pays dans le cadre des conventions culturelles de l’UNESCO, les accords régionaux destinés à soutenir la mobilité des artistes ou encore le développement des itinéraires de tourisme culturel transfrontalier, illustrent cette tendance des politiques publiques. La diplomatie culturelle démontre ainsi sa capacité à mettre en avant les racines communes de la diversité culturelles du monde – loin d’instrumentaliser la culture à des fins de division – soulignant également le caractère dynamique de la culture et sa capacité à se renouveler au fil du temps.

Cependant, une telle vision globale appelle une consolidation des politiques nationales de diplomatie culturelle et une inscription plus lisible dans le spectre des politiques publiques. Même s’ils reconnaissent l’intérêt de la diplomatie culturelle et s'emploient activement à la pratiquer, de nombreux pays n'ont pas de politique spécifique. Les responsabilités la concernant restent dispersées entre les différents organes gouvernementaux et des budgets spécifiques sont rarement alloués. Des politiques plus robustes de diplomatie culturelle seraient bénéfiques pour les intérêts nationaux des États membres, ainsi que pour la coopération internationale. Cette démarche nécessite, en particulier, d’encourager la collection et l’analyse des données et d’explorer les défis et opportunités spécifiques liés à la transformation numérique. 

L’UNESCO offre aux pays des instruments normatifs et des espaces de dialogue leur permettant de renforcer, structurer et amplifier leurs objectifs de diplomatie culturelle. Les conventions culturelles de l’UNESCO offrent des plateformes de dialogues et des outils opérationnels pour soutenir, par exesmple, la sauvegarde du patrimoine commun, la mobilité des artistes ou encore la restitution des biens culturels. La Conférence mondiale sur les politiques culturelles de l’UNESCO - MONDIACULT 2022, qui doit être accueillie par le gouvernement du Mexique en septembre, réitérera l’engagement en faveur du dialogue global des politiques publiques – un forum essentiel pour démontrer la capacité de la diplomatie culturelle à approfondir le dialogue et la coopération dans l’optique d’un monde plus pacifique, prospère et respectueux de la diversité culturelle.