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À l'horizon | Remettre le tourisme culturel sur les rails

Remettre le tourisme culturel sur les rails
La pandémie de COVID-19 a freiné le tourisme culturel dans sa lancée. Tout au long de l’année 2020, les arrivées internationales ont chuté de 74 % dans le monde entier. Frappé de plein fouet, le secteur est désormais confronté à une précarité et une volatilité qui s’installent dans le temps. En raison des mesures de restriction imposées aux voyages internationaux, de la fermeture de nombreuses frontières et des mesures de distanciation physique, les pays ont été contraints d’imposer l’interruption massive des visites des sites du patrimoine, des lieux culturels, des festivals et des musées, dont certains pourraient ne jamais rouvrir.
Avant la propagation de la pandémie de COVID-19, le tourisme mondial connaissait une forte progression depuis plusieurs décennies. Témoignant de cet essor, les destinations générant un milliard de dollars ou plus grâce au tourisme international ont presque doublé depuis la fin des années 1990. Le tourisme est devenu un secteur clé du commerce international, avec un taux de croissance devançant celui de l’économie mondiale. En 2019, le secteur a injecté 8,9 billions de dollars des États-Unis dans l’économie mondiale, soit 10,3 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Le secteur culturel dans son ensemble est fortement dépendant à l’égard de l’industrie du tourisme.
 
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Le tourisme culturel – défini par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) comme le tourisme centré sur les attractions et produits culturels – est l’un des segments de l’industrie touristique qui connaît la croissance la plus rapide et représente, selon les estimations, 40 % de l’ensemble du tourisme mondial. Il concerne notamment les sites patrimoniaux et religieux, l’artisanat, les arts de la scène, la gastronomie, ou encore les festivals et autres événements. Les pays du monde entier mettent à profit la richesse de leur patrimoine matériel et immatériel ou encore leurs expressions culturelles contemporaines dans l’objectif de stimuler la croissance économique et le développement durable au travers du tourisme culturel, qui peut contribuer à la création d’emplois, la régénération des zones rurales et urbaines et à la sauvegarde du patrimoine naturel et culturel. Le tourisme culturel est un sous-secteur en évolution constante, modelée par l’évolution des modes de vie, l’essor de nouvelles expressions culturelles et créatives et l’innovation numérique. Le tourisme culturel relève également d’un phénomène de plus en plus complexe, avec de multiples ramifications politiques, économiques, sociales, éducatives ou encore écologiques.
 
Le tourisme culturel est également un pilier de l’emploi à l’échelle mondiale, considéré à ce titre par de nombreux pays à travers le monde comme un secteur d’intervention prioritaire pour stimuler la création d’emplois, notamment en direction des jeunes. D’après le World Travel and Tourism Council (WTTC), le secteur du tourisme dans son ensemble représente 330 millions d’emplois – soit un emploi sur dix à l’échelle mondiale – le tourisme culturel représentant à lui seule une part essentielle de l’emploi touristique puisqu’il génère 40% des revenus touristiques mondiaux. Le tourisme culturel irrigue l’ensemble de l’écosystème culturel, stimulant l’emploi autour des sites culturels et naturels et des musées, notamment au travers des activités de restauration et de maintenance mais aussi dans les différents domaines de la culture – en particulier l’artisanat, la gastronomie et les arts de la scène – un impact amplifié également par les festivals et événements culturels. Au-delà de l’emploi culturel stricto sensu, le tourisme culturel nourrit l’emploi dans d’autres domaines des économies locales, nationales et mondiales, du fait de l’interaction entre le secteur du tourisme culturel et de nombreuses filières économiques les services ou l’industrie, en particulier dans le domaine de l’hébergement, la restauration et les loisirs, ou encore le secteur de la construction, particulièrement lié à la restauration et à la maintenance des sites culturels. La pandémie de COVID-19 et les mesures de distanciation sociale et de restriction de déplacements qui l’accompagnent ont eu un effet dévastateur sur l’emploi, entraînant des répercussions en chaîne dans de nombreux soussecteurs tout en mettant en lumière la volatilité et la prééminence du secteur informel. Les femmes, les jeunes, les communautés rurales, les peoples autochtones et les travailleurs du secteur informels ont été particulièrement affectés par la chute brutale des revenus touristiques. Au vu de cet impact majeur sur l’emploi – notamment dans les régions représentant des destinations touristiques majeures telles que l’Europe, le Pacifique ou les Caraïbes mais également de nombreux pays en développement – redémarrer le tourisme culturel est une préoccupation centrale pour de nombreux gouvernements à travers le monde, formulée avec force par les ministres à l’occasion de la réunion en ligne des ministres de la Culture organisée par l’UNESCO le 22 avril dernier.
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L’expansion du tourisme culturel

L’aspiration à découvrir des lieux à dimension historique ou spirituelle, à expérimenter des cultures différentes, ou à apprendre, échanger et accéder à un large éventail de ressources culturelles, constitue de longue date un moteur du voyage. Le concept de tourisme culturel a pris de l’ampleur au cours des années 1990, avec l’émergence de secteurs plus spécialisés parmi lesquels le tourisme patrimonial, le tourisme artistique, le tourisme gastronomique, le tourisme cinématographique et le tourisme créatif. L’essor du tourisme culturel s’inscrit également dans le contexte plus vaste de la mondialisation et des progrès technologiques qui ont favorisé la mobilité grâce à la réduction du coût du transport aérien, l’accessibilité accrue à divers lieux et biens culturels, leur visibilité au travers des médias et l’essor du voyage individuel. À cette époque, la politique du tourisme connaissait également une évolution marquée notamment par l’attention croissante portée au développement régional et aux questions environnementales, la multiplication des partenariats public-privé, l’autorégulation de l’industrie et un recul de l’implication directe des États dans l’aménagement des infrastructures touristiques. En parallèle, alors que les visiteurs expriment une aspiration croissante à explorer les cultures, le dialogue interculturel devient plus central pour promouvoir la compréhension et la tolérance. De même, le tourisme culturel a souvent été considéré comme un levier pour valoriser les identités locales et nationales, en particulier dans le contexte de la mondialisation. Le tourisme culturel s’inscrit d’emblée dans une approche territoriale, soucieuse du contexte local. Il est porté par l’aspiration des visiteurs à s’immerger dans l’environnement culturel local, expérimenter et découvrir les expressions culturelles matérielles et immatérielles, notamment les monuments, les arts du spectacle, l’artisanat, les rituels ou la gastronomie.

Le tourisme culturel est une priorité de premier plan pour la majorité des pays du monde. Il figure dans la politique touristique de 90 % des pays, selon une enquête mondiale de l’OMT réalisée en 2016. La plupart des pays incluent le patrimoine matériel et immatériel dans leur définition du tourisme culturel, et plus de 80 % d’entre eux incluent la culture contemporaine – cinéma, arts du spectacle, design, mode et nouveaux médias, etc. Une tendance à la territorialisation des politiques du tourisme et leur ancrage dans les politiques locales émerge également, notamment autour de la promotion et la valorisation du patrimoine, de la gastronomie, des festivals ou encore de l’artisanat. En France, le Val de Loire – un site du patrimoine mondial qui s’étend sur 300 kilomètres entre Sully-sur-Loire et Chalonnes – a mis en place une équipe multidisciplinaire pour valoriser les valeurs culturelles du site et accompagner les autorités en charge du développement territorial de cette vaste vallée fluviale.

Si le tourisme culturel s’inscrit en priorité dans les politiques économiques, ses retombées concernent différents aspects du développement économique, social et environnemental. Le tourisme culturel stimule le tissu économique et l’emploi en s’appuyant sur les ressources culturelles comme avantage concurrentiel sur le marché du tourisme. De manière croissante, le tourisme culturel est utilisé comme un axe stratégique par les pays et les régions pour sauvegarder les cultures traditionnelles, attirer les talents, développer de nouvelles ressources et produits culturels, faire émerger des pôles créatifs ou encore stimuler le développement les industries culturelles et créatives. Le tourisme culturel constitue un levier d’éducation culturelle, notamment par le biais des musées. L’intérêt manifesté par les visiteurs peut également contribuer à la transmission des pratiques du patrimoine culturel immatériel aux jeunes générations.

 

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Le tourisme culturel peut favoriser l’appréciation du patrimoine local et son appropriation par les communautés, suscitant ainsi un intérêt et des investissements accrus en faveur de sa sauvegarde. Le tourisme peut également encourager des formes inclusives de développement des communautés en renforçant la résilience, la cohésion sociale et l’autonomisation. Il favorise la cohésion des territoires et l’inclusion socio-économique des populations les plus vulnérables, en générant notamment des revenus économiques pour les femmes issues de zones rurales. Une sensibilisation accrue aux méthodes de conservation traditionnelles et aux savoirs locaux et autochtones contribue à la durabilité environnementale à long terme. De même, les revenus du tourisme peuvent contribuer à assurer la continuité des activités de conservation du patrimoine bâti et de protection du patrimoine naturel.

La croissance du tourisme culturel a remodelé le paysage urbain au cours des dernières décennies, avec des répercussions profondes sur l’aménagement de l’espace à l’échelle mondiale. Dans de nombreux pays, le tourisme culturel a été un moteur des stratégies de régénération urbaine ou de marketing urbain, depuis les métropoles en Asie ou dans la région des Etats arabes qui s’appuient sur les sites culturels majeurs et l’architecture contemporaine pour accompagner l’expansion du tourisme, jusqu’aux villes de petite et moyenne taille qui valorisent leurs atouts culturels pour stimuler le développement local. À l’échelle nationale, le tourisme culturel a également influencé l’aménagement du territoire, en encourageant le développement des zones côtières dans certains cas, ou en revitalisant au contraire l’arrière-pays. Cette tendance mondiale a orienté l’investissement dans les équipements urbains, porté à la fois par les pouvoirs publics et le secteur privé, notamment en faveur du transport, de la restauration des bâtiments et zones historiques, ainsi que de la revitalisation des espaces publics. L’essor des réseaux de villes, parmi lesquelles le programmes des villes du patrimoine mondial de l’UNESCO ou le Réseau des villes créatives de l’UNESCO, reflète également cette dynamique. De même, l’expansion des itinéraires culturels – qui rassemblent plusieurs villes ou établissements humains autour de ressources culturelles partagées pour stimuler le tourisme – a également fait émerger de nouvelles solidarités et influencé les échanges économiques et culturels entre les villes issues de différents pays ou régions du monde.

Malgré son potentiel indéniable comme levier de transformation économique et sociale, le tourisme culturel soulève un certain nombre de défis notamment celui de trouver un équilibre entre bénéfices économiques et intégrité culturelle. En effet, le rôle crucial du tourisme en faveur du développement inclusif des communautés reste souvent en marge de la planification et de la mise en œuvre des politiques. La croissance rapide et non planifiée du tourisme peut faire émerger une série d’effets négatifs, notamment la pression exercée sur les communautés et les infrastructures locales par l’afflux de visiteurs en haute saison, la gentrification des zones urbaines, les problèmes de gestion des déchets et la hausse des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Le nombre élevé de visiteurs sur les sites du patrimoine dépasse parfois leur capacité d’accueil, ce qui est susceptible de compromettre les efforts de conservation et d’affecter à la fois l’intégrité et l’authenticité des sites patrimoniaux. La sur-commercialisation et la folklorisation des pratiques du patrimoine immatériel – y compris leur décontextualisation à des fins touristiques – portent le risque de dénaturer les pratiques au fil du temps. Les intérêts commerciaux tendent également à capter les revenus du tourisme, au détriment des retombées économiques sur les communautés. Une dépendance excessive à l’égard du tourisme peut également créer des mono-économies localisées aux dépens de la diversification des modèles économiques. En l’absence de mécanismes appropriés de régulation, le tourisme peut ainsi avoir des effets négatifs sur la qualité de vie et le bien-être des populations locales, ainsi que sur l’environnement naturel.

Ces lignes de faille ont été plus particulièrement exacerbées par l’impact de la pandémie, qui a révélé la dépendance du secteur culturel à l’égard du tourisme et l’insuffisance des structures de prévention et de réponse aux crises. La situation actuelle du tourisme demeure imprévisible – pénalisant les efforts de planification – et cette instabilité est susceptible de se prolonger alors que l’émergence de nouvelles crises se dessine comme un scénario probable dans les années à venir. Dès lors, la pandémie appelle à expérimenter de nouveaux modèles et explorer des alternatives viables et plus durables pour l’avenir.

 

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Placer le tourisme culturel au cœur des politiques publiques

Dans le champ des politiques publiques, de nombreux pays à travers le monde entier mettent le tourisme culturel au service de différents objectifs stratégiques. Au Panama, le tourisme culturel constitue un élément fondamental du Plan directeur pour le tourisme durable 2020-2025. Récemment adopté par le pays, ce plan stratégique a pour ambition de positionner le Panama comme une référence mondiale en matière de tourisme durable à travers le développement de routes patrimoniales. Le tourisme culturel est également un outil de « soft power » dans le cadre des stratégies de diplomatie culturelle, car il permet de nourrir le dialogue entre les peuples et d’amplifier la portée de la politique étrangère des pays. À titre d’exemple, le renforcement de la coopération régionale entre 16 pays a été au cœur du projet transnational des Routes de la soie de l’UNESCO, qui reflète clairement l’importance de la culture et du patrimoine au service de la politique étrangère. L’UNESCO s’est également associée à l’Union Européenne (UE) et à National Geographic pour élaborer le projet « Voyages du patrimoine mondial », une plateforme qui se propose d’accompagner l’expérience touristique au travers de quatre itinéraires culturels associant 34 sites du patrimoine mondial. En écho, le tourisme culturel en Europe a été stimulé par le développement d’itinéraires culturels axés sur les produits locaux alimentaires et vinicoles, ainsi que sur des actions visant à valoriser l’agriculture locale notamment au moyen de labels et de certificats d’origine contrôlée. La région d’Émilie-Romagne en Italie, par exemple, produit plus de produits agricoles et viticoles à origine certifiée qu’aucune autre région du pays. L’une des villes de la région, Parme – ville créative de l’UNESCO (gastronomie) et capitale italienne de la culture (2020-2021) – projette de reprendre ses activités culturelles pour stimuler le tourisme une fois les restrictions assouplies. De même, l’Espagne a quant à elle récemment pris des mesures pour relancer son industrie touristique par le biais de ses villes inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Dans ce cadre, le groupe des 15 villes espagnoles classées au patrimoine mondial s’est récemment réuni pour convenir des lignes directrices du plan de modernisation et de compétitivité du pays portant sur le secteur du tourisme. Dans plusieurs pays d’Asie centrale et d’Europe de l’Est, le tourisme culturel a également acquis, de manière progressive, un rôle prépondérant dans les politiques publiques, destinées à revitaliser le patrimoine immatériel et stimuler l’économie créative dans le cadre de stratégies destinées à renforcer l’identité culturelle nationale et le l’ouverture à la communauté internationale. En Afrique, le tourisme culturel constitue un marché en pleine expansion, motivé par la richesse de son patrimoine culturel, son secteur artisanal et les événements culturels nationaux et régionaux. Les grands festivals tels que Dak-Art au Sénégal, la Biennale de la photographie des Rencontres de Bamako au Mali, Sauti za Busara de Zanzibar en République-Unie de Tanzanie, le Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou au Burkina Faso et le Festival d’art de rue de Chale Wote au Ghana comptent parmi les exemples de plateformes populaires et dynamiques à l’échelle du continent qui permettent à la fois de promouvoir les expressions culturelles, de générer des revenus au bénéfice des économies locales, et de renforcer l’identité panafricaine.

Les pays amplifient leurs efforts pour former des alliances avec des organismes internationaux en vue de renforcer leur secteur du tourisme. Les gouvernements nationaux et locaux collaborent avec des entités internationales telles que l’UNESCO, l’OMT et l’OCDE dans le domaine du tourisme durable. 2012 a marqué la mise en place du Programme de l’UNESCO sur le patrimoine mondial et le tourisme durable, ouvrant ainsi la voie à une promotion du tourisme axée sur la conservation du patrimoine culturel et naturel comme vecteur de développement durable. En 2020, l’UNESCO a formé un Groupe d’étude sur la culture et le tourisme résilient en collaboration avec les organisations consultatives de la Convention du patrimoine mondial de 1972 (ICOMOS, UICN, ICCROM). Cette plateforme mondiale permet d’offrir un espace de dialogue sur des problématiques liées au tourisme et à la gestion du patrimoine pendant et après la crise sanitaire. L’UNESCO collabore également avec l’OMT sur un ensemble de recommandations pour la relance du tourisme culturel inclusif des suites de la pandémie de la COVID-19. En réponse à la crise, le gouvernement namibien, l’UNESCO et le PNUD fédèrent leurs efforts et mènent une étude d’impact portant sur le tourisme et élaborent une stratégie de développement pour relancer le secteur du tourisme, en particulier le tourisme culturel.

L’UNESCO a renforcé son action dans le domaine de l’accompagnement du tourisme culturel sur le terrain par le biais d’initiatives nationales ou régionales en appui aux États membres. Dans la région Afrique, la valorisation du tourisme culturel constitue l’une des priorités des politiques publiques. L’UNESCO a ainsi soutenu l’initiative Au-delà du retour, portée par le Ghana, notamment en lien avec le tourisme culturel. Dans le Pacifique, un bilan commun de pays (CCA) a été mis en place pour 14 PIED et constituera la base de programmes interagences. Dans la région des États arabes, dans le contexte de la réponse à la pandémie, la question du tourisme, de l’emploi décent et des industries culturelles et créatives constitue les composantes principales de différents projets. En Europe, l’UNESCO poursuit son travail interdisciplinaire en faveur des centres d’accueil des visiteurs des sites UNESCO, par le biais d’une série d’ateliers, pour renforcer la durabilité du tourisme, la participation des communautés et l’éducation au travers de l’interprétation du patrimoine. Dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes, l’UNESCO collabore étroitement avec les États membres, les entités régionales et les agences du système des Nations Unies en s’appuyant sur la dynamique liée à l’Année internationale de l’économie créative pour le développement durable, notamment au travers des villes créatives, et en appui aux initiatives en faveur de la relance durable de l’économie orange.

 

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Dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, le tourisme constitue un moteur pour atteindre, directement ou indirectement, l’ensemble des 17 Objectifs de développement durable (ODD). Il est fait une mention directe au tourisme dans la formulation des ODD 8, 12 et 14 qui correspondent respectivement à la croissance économique inclusive et durable, à la consommation et la production durables et à l’exploitation durable des océans et des ressources marines. Cela est également reflété dans les ENV soumis par de nombreux pays qui se réfèrent au tourisme culturel notamment à travers les programmes et stratégies de revitalisation des zones urbaines et rurales axée sur la régénération du patrimoine, à l’organisation de festivals et d’événements, au développement des infrastructures et à la promotion des produits culturels locaux. Les ENV font également émerger une tendance des pays à privilégier des approches plus durables du tourisme qui tiennent compte des dimensions environnementales du développement touristique.

Certains pays s’appuient sur le tourisme culturel comme voie privilégiée pour la croissance et la diversification économiques. Dans le cadre de sa Vision nationale 2030, le Qatar a ainsi engagé un plan de développement qui fait la part belle au tourisme culturel autour du renforcement de la production culturelle, en particulier la calligraphie, l’artisanat et les pratiques du patrimoine vivant. À Abou Dhabi aux EAU, le tourisme culturel est partie prenante du plan de diversification économique de la ville, s’inscrivant également dans une perspective de transition vers l’économie post-pétrolière. Le plan Abou Dhabi 2030 inclut la création d’un district culturel à hauteur de 27 milliards de dollars US sur l’île Saadiyat, comprenant un ensemble de musées et d’institutions culturelles et éducatives à rayonnement mondial conçues par des architectes de réputation internationale, afin d’attirer visiteurs et talents. Depuis 2016, l’Arabie saoudite a engagé une politique volontariste pour investir en faveur du tourisme, de la culture et des loisirs dans l’optique de réduire la dépendance du pays à l’économie pétrolière, tout en assurant son positionnement comme destination culturelle internationale. Dans le cadre de la présidence saoudienne du G20 en 2020, l’OMT et le groupe de travail sur le tourisme du G20 ont lancé en octobre dernier le Cadre AlUla pour un développement inclusif au travers du tourisme pour accompagner le développement des communautés et la mise en œuvre des ODD. Le rôle crucial du tourisme comme levier de développement économique durable était également souligné dans la déclaration finale des ministres du tourisme du G20.

 

Siem Reap, Cambodia by nbriam

 

Parallèlement, le tourisme culturel peut également susciter des avancées dans le domaine des politiques culturelles. Ainsi, le festival annuel des Arts du Pacifique (FestPac) a fait émerger, après son édition 2012, une série de mesures de politiques publiques destinées à renforcer la cohésion sociale et la sensibilisation des communautés à l’issue d’une période prolongée de troubles sociaux. L’année suivante, les Îles Salomon ont adopté leur première politique culturelle qui mettait l’accent sur les industries et le tourisme culturels, stimulant ainsi l’essor des événements culturels à travers le pays.

Du fait de leur situation géographique, certains pays ont pu rapidement fermer leurs frontières face à l’essor de la pandémie, donnant ainsi priorité au tourisme national. C’est le cas notamment de l’Australie ou de la Nouvelle Zélande. Toutefois, ces restrictions ont eu un coût économique important pour de nombreux petits États insulaires en développement (PEID), dont les économies reposent largement sur le tourisme et l’export. Les PIED en Asie Pacifique, par exemple, comptent parmi les premières destinations touristiques à l’échelle mondiale. Comme évoqué dans le Tracker en juin dernier, en 2018, les revenus touristiques ont dépassé 50% du PIB dans les Îles Cook, les Maldives et Palau et atteint environ 30% du PIB à Samoa et Vanuatu. Face à l’impact de la pandémie en 2020, l’interruption brutale du tourisme britannique à destination des Baléares en Espagne a fait chuter le nombre de visiteurs de 93%, entraînant la fermeture de nombreuses entreprises locales. Les Perspectives de l’économie mondiale publiées en octobre dernier par le Fonds monétaire international (FMI) font état d’un recul de 12% du secteur touristique dans les pays des Caraïbes qui en dépendent fortement, tandis que les pays insulaires du Pacifique, tels que Fidji, ont vu leur PIB réduire de 21% en 2020.

Le tourisme responsable et l’éco-tourisme ont pris de l’essor dans les pratiques touristiques et le choix des sites. Les touristes sont de plus en plus enclins à prêter attention à leur empreinte carbone, maîtriser leur consommation d’énergie et privilégier l’utilisation de ressources renouvelables, une tendance exacerbée par la pandémie. Selon une enquête récente de Booking.com, les visiteurs deviennent plus conscients des motifs et modalités de leur voyage, plus des deux tiers d’entre eux (69%) sollicitant auprès de l’industrie du voyage des alternatives plus durables. Suite à la fermeture des plages en Thaïlande, par exemple, le pays explore la possibilité de mettre en place des mesures de gestion du littoral plus favorables à la durabilité environnementale. L’Engagement de l’UNESCO en faveur du tourisme durable lancé en partenariat avec le groupe Expédia met l’accent sur la promotion du tourisme durable et la conservation du patrimoine. L’Engagement déploie une approche de la protection environnementale et culturelle centrée sur les industries, sollicitant des entreprises l’introduction de mesures volontaristes pour éliminer les plastiques à usage unique et promouvoir les cultures locales. L’initiative prend de l’ampleur à l’échelle mondiale en 2021 alors qu’un marché nouveau, plus conscient des enjeux environnementaux et culturels, émerge de la crise de COVID-19.

 

Senja, Norway by Jarmo Piironen

 

Le changement climatique a un impact majeur sur les sites du patrimoine, exacerbant leur vulnérabilité aux risques de différentes nature, parmi lesquels celui du tourisme incontrôlé. Cette tendance a été soulignée dans la publication Le patrimoine mondial et le tourisme face au changement climatique, publiée par l’UNESCO, UNEP le PNUD et l’Union of Concerned Scientists (UCS), qui analyse les répercussions du changement climatique sur le patrimoine et les risques d’une transformation ou d’une destruction de l’intégrité et de l’authenticité des sites. Les phénomènes climatiques extrêmes, les questions de sécurité et les pénuries d’eau comptent parmi les problématiques qui entravent l’accès aux sites et affectent les moyens de subsistance des acteurs du tourisme et des communautés locales. L’élévation du niveau des océans aura un impact inévitable sur le tourisme côtier, qui constitue le segment principal du secteur à l’échelle mondiale. Les récifs coralliens en particulier – qui contribuent à l’économie mondiale du tourisme à hauteur de 11,5 milliards de dollars US – sont particulièrement menacés par le changement climatique.

Les sites marins sont souvent des pôles d’attraction du tourisme, qui rassemblent chaque année des centaines de milliers de visiteurs sur des yachts et des bateaux de croisière. Les sites marins du patrimoine Mondial – placés sous la responsabilité des États– s’appuient souvent sur des mécanismes de financement alternatifs, parmi lesquels les subventions ou les donations, ainsi que sur les partenariats avec des organisations non gouvernementales et/ou le secteur privé. Les Fjords de l’ouest de la Norvège – Geirangerfjord et Nærøyfjord – dégagent une partie significative de leur budget de maintenance de sources non gouvernementales. Le site bénéficie d’un partenariat avec l’entreprise privée Green Dream 2020, qui limite l’accès au site aux opérateurs « verts » et reverse un pourcentage des bénéfices des croisières dans la conservation à long terme du site. À iSimangaliso en Afrique du sud, la loi nationale qui pose les bases du système de gestion du site patrimoine mondial est corrélée à l’obligation d’associer la conservation du bien à des activités de développement économique durable créatrices d’emploi pour les populations locales. Le Parc de la zone humide d’iSimangaliso soutient 12 000 emplois et accueille un programme d’éducation environnementale en lien avec 150 écoles. Dans la Grande Barrière en Australie, où 91% des emplois sont liés au récif, le programme « Coral Nurture » contribue à la conservation par la plantation de corail et la promotion de l’engagement des communautés et des opérateurs du tourisme locaux dans la gestion du site et l’adaptation climatique.

 

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Au vu de l’inscription dans la durée des mesures de fermeture des frontières et de la volatilité des réglementations, de nombreux pays ont mis l’accent sur le tourisme et les marchés nationaux pour stimuler la reprise économique. Selon l’OMT, le tourisme national devrait retrouver une assise plus rapidement que le tourisme international, offrant un levier viable pour la reprise économique et sociale à l’issue de la pandémie. Cette tendance permet également de reconnecter les populations à leur patrimoine et d’élargir les possibilités d’accès à la culture et de participation culturelles. En Chine, par exemple, la demande intérieure pour les voyages a presque retrouvé le niveau précédant la pandémie. Dans la Fédération de Russie, le gouvernement a soutenu un programme pour promouvoir le tourisme national et soutenir les petites et moyennes entreprises, ainsi qu’un système de réduction pour les déplacements intérieurs qui permet aux bénéficiaires d’obtenir un remboursement à hauteur de 20% de la valeur de leurs voyages. Tout en soutenant le tourisme intérieur, le gouvernement de Palau fournit des aides aux entreprises locales en faveur de la reforestation et de la pêche dans l’esprit de construire des modèles plus durables. Les mesures mises en place aujourd’hui vont influencer le tourisme de demain ; la pandémie offre ainsi l’opportunité de reconstruire un secteur touristique plus fort, plus agile et durable.

Les dynamiques locales aux avant-postes du tourisme culturel

Si l’intervention de l’État en faveur du tourisme culturel demeure cruciale, les autorités locales deviennent des acteurs incontournables pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques liées au tourisme culturel. Forts d’une connaissance approfondie des besoins des populations locales, les acteurs locaux disposent de la réactivité nécessaire pour expérimenter de nouvelles idées et des voies innovantes en matière de politiques publiques. Le tourisme culturel étant directement associé à un territoire, la coopération avec les décideurs et acteurs locaux apporte une valeur ajoutée pour atteindre des objectifs communs. Parallèlement, la crise sanitaire a profondément affecté les villes, et plus particulièrement celles dont la base économique repose sur le tourisme. Face au recul du soutien de l’État, les autorités locales ont été contraintes d’innover pour soutenir les économies locales et rechercher des alternatives viables, réaffirmant ainsi leur rôle essentiel dans la mise en œuvre des politiques culturelles.

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Le tourisme culturel peut être un levier puissant de la régénération urbain, même si les pressions touristiques suscitent des processus complexes de gentrification. La sauvegarde du patrimoine culturel valorise les valeurs sociales d’un territoire en contribuant au bien être des individus et des communautés, en réduisant les inégalités sociales et en renforçant la cohésion sociale. Au cours de la dernière décennie, la ville du patrimoine mondial de Georgetown en Malaisie a mis en œuvre une série de projets innovants pour soutenir le tourisme et ramener les populations locales dans le centre historique en plaçant les atouts culturels de la ville au cœur des stratégies de revitalisation urbaine. Une partie des revenus générés par le tourisme contribue conserver et revitaliser l’environnement bâti, ainsi qu’à soutenir l’habitat des populations locales, y compris les communautés à faible revenus. Dans la ville de Bordeaux en France la municipalité s’est allié avec la structure publiqueprivée In Cité pour proposer un système de subventions et d’exemptions fiscales afin d’encourager la restauration des bâtiments privés, une démarche qui a fait émerger d’autres initiatives de réhabilitation du centre historique. La ville de Kyoto au Japon déploie une vision à long terme de la durabilité ; elle permet aux populations locales de jouer un rôle actif dans la sauvegarde du patrimoine en réhabilitant progressivement leurs propres maisons, la ville étant ainsi moins exposée à la gentrification. La municipalité soutient également activement la promotion de son patrimoine immatériel, notamment les cérémonies du thé, les compositions florales, les festivals saisonniers, le théâtre Nô et la danse. Cette année marque le dixième anniversaire de l’adoption de la Recommandation de l’UNESCO concernant le paysage urbain historique (HUL). Lors de la consultation réalisée par l’UNESCO auprès des États membres en 2019 pour évaluer la mise en œuvre de la Recommandation, 89% des participants font état de services ou d’activités touristiques innovantes en faveur des zones historiques, ce qui démontre l’engagement des pays dans la valorisation de leur patrimoine culturel urbain à des fins touristiques.

Le tourisme culturel constitue également un levier pour faire face aux migrations des campagnes vers les villes et revitaliser à la fois les zones rurales et péri-urbaines. La ville de Suzhou, une ville du patrimoine mondial et une ville créative (Artisanat et arts populaires) de l’UNESCO, valorise l’industrie de broderie de la soie pour renforcer l’économie rurale par la création d’emplois dans le village de Wujiang, situé dans le district de Suzhou. Les touristes peuvent visiter les ateliers et musées locaux pour découvrir la production textile. Dans le nord du Viet Nam, les chants populaires Quan Họ de Bắc Ninh, inscrits sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, sont ancrés dans le territoire et évoquées dans les stratégies de sauvegarde de 49 villages anciens, ce qui a également suscité l’établissement de centaines de nouveaux villages Quan họ dans les provinces de Bắc Ninh et Bắc Giang.

 

 

De nombreuses villes parmi les destinations touristiques phares sont réputées pour leurs sites culturels iconiques. D’autres investissent sur leurs atouts culturels pour attirer les visiteurs. La France, première destination touristique au monde, attire chaque année 89 millions de touristes, venus découvrir ses richesses culturelles, en particulier les nombreux sites culturels. Dans le cadre des stratégies de reconversion post-industrielle, de nombreux gouvernements nationaux et locaux cherchent à diversifier la base économique en s’appuyant sur la culture. Le musée Guggenheim de Bilbao en Espagne est un exemple emblématique de cette stratégie de diversification économique – destinée notamment à lutter contre le chômage – impulsée par la construction d’un musée d’art moderne qui s’est imposé comme un pôle d’attractivité touristique. Le musée attire en moyenne 900 000 visiteurs chaque année, contribuant ainsi à renforcer l’économie locale. Le musée d’Art ancien et nouveau (MONA) établi en 2011 à Hobart, en Australie, par un entrepreneur privé offre un autre exemple de cette dynamique, l’ouverture du musée ayant suscité de même un afflux considérable de visiteurs dans cette petite ville. Au travers d’événements tels que MONA FOMA en été et Dark MOFO en hiver, les flux de visiteurs sont répartis à l’échelle de la ville pour réduire la pression sur l’environnement et les communautés locales. Au sein du secteur touristique, le tourisme culturel est également bien positionné pour offrir une approche sur mesure des produits, services et expériences touristiques. De tels modèles ont également stimulé les écosystèmes autour des sites culturels emblématiques, dans le cadre de stratégies de destinations touristiques.

Le tourisme de destination inclut les festivals, les spectacles, le film et les festivités, conçus comme des éléments d’attractivité pour le tourisme international et un levier pour l’économie locale. Au cours des trois dernières décennies, le nombre de biennales artistiques a décuplé. On compte aujourd’hui plus de 300 biennales à travers le monde, dont l’origine répond à la fois à des ambitions artistiques et à des stratégies de « place-making » destinées à revitaliser certaines destinations. Du fait de la pandémie, nombreux sont les festivals d’art et les biennales qui ont été annulés ou reporté. Les biennales d’Architecture et d’Art de Venise ont toutes deux été reportées en 2022. Le festival international du film de Berlin tiendra son édition en ligne en 2021 et dans une sélection de cinémas. Le tourisme généré par le cinéma – stimulé à la fois par l’exposition médiatique, la croissance de l’industrie du divertissement et des voyages internationaux – a également contribué aux stratégies de développement régional, à l’aménagement d’équipements urbains, à la création d’emplois, mais aussi à la promotion des destinations vis-à-vis des touristes. Ainsi, le film chinois “Lost in Thailand” – le plus grand succès au box-office national en 2012 – a entraîné un essor touristique de Chiang Mai en Thaïlande, accompagné par des vols directs quotidiens en provenance de 17 villes chinoises pour absorber l’afflux de visiteurs désireux de découvrir les lieux du tournage. Depuis mars 2020, les industries liées au tourisme à New York aux Etats Unis sont en chute libre, les arts vivants à eux seuls connaissant une plongée de 70%. Du fait de sa dépendance au secteur touristique, la ville a été plus durement touchée qu’aucune autre grande ville du pays par l’effondrement du tourisme. De même en Afrique du Sud, quand la première édition en ligne du festival national annuel des Arts s’est tenue en juin dernier, la province du Cap-Oriental et la ville de Makhanda ont subi des pertes respectives d’environ 25,7 millions de dollars US (377 millions ZAR) et 6,4 millions de dollars US (94 millions ZAR) par rapport aux chiffres de 2018, sans compter le manque à gagner de 1,4 millions de dollars US (20 millions ZAR) supplémentaires pour les artistes et les industries associées. Le plus grand festival de musique du Royaume-Uni, qui se tient chaque année à Glastonbury dans le Somerset an récemment été annulée pour la deuxième fois consécutive à cause de la pandémie, avec des répercussions en chaîne sur les commerces locaux et les organismes caritatifs financés par la vente des billets.

De même, l’annulation des carnavals de Santa Cruz de Tenerife dans les îles Canaries à Binche en Belgique a entraîné des pertes considérables pour les opérateurs locaux du tourisme, les hôtels, les restaurants, les fabricants de costumes et les écoles de danse. Dans le cas du carnaval de Rio de Janeiro au Brazil, par exemple, la ville a accumulé des pertes importantes pour les événements annulés, qui avaient attiré en 2019 1,5 millions de touristes nationaux et internationaux et généré 700 millions de dollars US (3,78 milliards BRL). L’effet “domino” sur l’économie dans son ensemble, lié aux chaines d’approvisionnement, laisse entrevoir des pertes globales d’un montant bien supérieur que celles du secteur culturel lui-même.

Guggenheim Museum Bilbao, Spain by erlucho

 

Chaque année, environ 600 millions de voyages religieux et spirituels sont répertoriés à l’échelle nationale ou internationale, générant 18 milliards de dollars US de revenus touristiques. Les pèlerinages, précurseurs du tourisme moderne, attirent des visiteurs autour des pratiques religieuses. Le tourisme religieux est particulièrement populaire en France, en Inde, en Italie ou encore en Arabie saoudite. À titre d’exemple, le pélerinage et festival hindou Kumbh Mela (fête de la jarre sacrée) en Inde – inscrit en 2017 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité – attire plus de 120 millions de pèlerins de toutes castes, genres et obédiences religieuses confondues. Le festival se tient tous les quatre ans en rotation dans les villes d’Allahabad, Haridwar, Ujjain et Nasik. Les sites sacrés et cérémoniaux ont une signification unique pour les populations et communautés et sont souvent intégrés dans des parcours destinés à promouvoir le bien-être spirituel. La Mongolie, par exemple, a environ 800 sites sacrés, parmi lesquels 10 montagnes protégées par décret présidentiel, ainsi que des lacs et des ovoos, parmi lesquels beaucoup ont leur propre sutra. Dans le cas de la Mongolie, la gestion de l’environnement et les rites et pratiques associées avec ces lieux sacrés s’entrecroisent avec des traditions politiques ancrées de longue date ainsi que la gouvernance de l’État.

Les villes fortes d’une scène culturelle dynamiques et d’autres richesses culturelles sont non seulement plus attractives pour les touristes, mais également pour les talents susceptibles de contribuer à son développement. Plusieurs villes mettent également l’accent sur le développement de leurs économies de la nuit à travers la promotion du théâtre, des festivals, les spectacles de lumière et l’utilisation de l’espace public au travers des technologies audio-visuelles. La ville de Valparaíso, un site patrimoine mondial situé sur la côte pacifique du Chili, s’attelle ainsi à construire une destination touristique sûre et inclusive en valorisant la scène culturelle nocturne, notamment au travers de la revitalisation de l’espace public. Si les économies de nombreuses villes ont été fragilisées par la pandémie, l’économie de la nuit de la ville de Chengdu, Ville créative de gastronomie de l’UNESCO, a poursuivi son essor et contribué à générer des revenus significatifs pour la ville, représentant 45% des dépenses quotidiennes des ménages.

La pandémie a stimulé la réappropriation de l’espace urbain par le public. Les sites de plein air et les expériences en pleine nature ont été plébiscitées. Dans de nombreux pays confrontés au confinement, les espaces publics – notamment les parcs ou les squares urbains – se sont avérés essentiels à la socialisation et à la résilience. En s’immergeant dans l’environnement urbain, les populations ont également été incitées à se reconnecter avec leur patrimoine. Les autorités locales et organisations de la société civile ont exploré des voies innovantes pour créer du lien entre les habitants et encourager les expressions créatives. À titre d’exemple, le département des arts de la municipalité de Cork, en Irlande, et l’établissement Creative Ireland ont soutenu conjointement l’initiative artistique « Ardú- Irish for ‘Rise’ » – incluant sept artistes de rue réputés, invités à produire des œuvres dans les rues et allées de la ville.

Chengdu Town Square, China by Lukas Bischoff

 

Les solutions fondées sur l’environnement font émerger des approches globales qui renforcent les liens entre espaces urbains et ruraux et valorisent l’expérience d’une ville pour nourrir l’expérience des visiteurs. Dans la ville de Bamberg, site du patrimoine mondial en Allemagne, les jardins sont un atout de la ville et contribuent à la qualité de vie et au bienêtre de ses populations locales. Plus de 12 000 touristes découvrent cet héritage local chaque année. 18 000 entreprises agricoles produisent des légumes, des herbes, des fleurs et des arbustes en exploitant les terres des jardins urbains et des champs environnants. Le musée organise également des événements gastronomiques et des cours de cuisine pour promouvoir les produits et recettes locales.

Dans les zones rurales, l’artisanat est partie prenante des stratégies de tourisme fondée sur la culture et les communautés, et ce notamment en Asie où l’artisanat s’inscrit souvent dans les zones rurales et contribue à créer de l’emploi et à réduire l’incidence de l’exode rural. Les villages artisanaux existent au Viet Nam depuis le XIème siècle et sont parties intégrantes des ressources culturelles du pays, les retombées économiques étant souvent réinvesties dans la durabilité des villes. L’artisanat est également considéré comme un levier de l’autonomisation des femmes, comme évoqué dans le plan national Vietnam 2035 de la Stratégie à l’Action.

Le tourisme autochtone contribue à revitaliser la culture, les arts et les traditions autochtones, notamment l’artisanat, qui constituent des pôles d’intérêt pour les visiteurs. Par l’intermédiaire du tourisme, les valeurs et systèmes alimentaires autochtones mettent en avant des pratiques plus écologiques. Face à l’impact de la pandémie, le gouvernement du Canada a fourni une série de subventions aux entreprises touristiques autochtones pour maintenir leurs moyens de subsistance. Le Comité intergouvernemental de la Convention de 2005 pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a annoncé l’octroi d’une subvention de 70 000 dollars US, à des entreprises culturelles autochtones du Mexique, par l’intermédiaire du Fonds international pour la diversité culturelle, afin de soutenir la mise en place par ces entreprises de programmes de formation, d’un incubateur et d’une plateforme de commerce en ligne.

Le tourisme a contribué à l’appropriation du patrimoine vivant par les communautés et à la participation active dans sa sauvegarde. Les autorités locales, les associations culturelles, ainsi que les détenteurs traditionnels se sont efforcés de sauvegarder et promouvoir des éléments du patrimoine immatériel non seulement dans l’esprit de renforcer leur identité culturelle mais également pour soutenir le développement touristique et économique. Au cours des dernières années, les questions de propriété intellectuelle et de régulation du patrimoine ont fait l’objet d’un intérêt renouvelé. De nombreuses initiatives ont été engagées dans le domaine de la gastronomie pour protéger les produits alimentaires locaux, notamment par le biais de labels ou appellations d’origine contrôlée. Les États membres explorent les possibilités d’indications géographiques protégées (IGP) pour réduire les risques d’exploitation du patrimoine en lien avec, par exemple, les produits artisanaux, textiles et alimentaires et contribuer au développement durable.

La pandémie a mis sur le devant de la scène le rôle des musées, en pleine évolution, et leur importance cruciale dans la vie des sociétés pour la santé et le bien-être, l’éducation et l’économie. Un rapport publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2019 analyse 3 000 études portant sur le rôle majeur des arts en faveur de la santé et du bien-être, notamment en ce qui concerne la prévention, la gestion et le traitement des maladies. Au cours de la dernière décennie, le nombre de musées a augmenté de 60%, reflétant le rôle essentiel des musées dans les politiques culturelles nationales. Loin d’être statiques, les musées sont des espaces dynamiques d’éducation et de dialogue, permettant de sensibiliser le public sur les valeurs du patrimoine culturel et naturel et la responsabilité dans leur sauvegarde.

Les données présentées dans le rapport de l’UNESCO « les musées dans le monde face à la pandémie de COVID-19 » en mai 2020 indiquent que 90% des institutions ont été contraintes à fermer leurs portes, tandis que la situation était beaucoup plus contrastée en septembre et octobre 2020 selon leur localisation dans le monde. Les grands musées ont été globalement plus impactés par la chute du tourisme international, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Les grands musées tels que le Rijksmuseum d’Amsterdam ou le musée d’Histoire de l’art de Vienne font état de pertes hebdomadaires entre 100 000 et 600 000 EUR (between 122 000 and 690 000 dollars US). Étant moins dépendants du tourisme international, les plus petits musées se sont avérés relativement stables et sont parvenus à maintenir une connexion plus étroite avec les communautés locales. En novembre, les réseaux des organisations muséales européennes (NEMO) a publié les résultats d’une enquête sur 6 000 musées issus de 48 pays. Parmi les musées recensés, 93% ont développé ou initié des services en ligne au cours de la pandémie. La plupart des grands musées (81%) ont accru leurs capacités numériques, tandis que seulement 47% des petits musées en ont fait autant. Une large majorité des répondants (92.9%) confirme que la sécurité du public est assurée dans leur enceinte. Comme évoqué dans le numéro 2 du Tracker, le musée le plus visité au monde, le musée du Louvre (France), qui rassemble chaque année 9,3 millions de visiteurs, a vu la fréquentation de son site internet multipliée par dix. Toutefois, si les technologies numériques ont offert au musées les moyens de demeurer opérationnels, tous n’ont pas les infrastructures nécessaires, une problématique soulignée notamment pour les musées en Afrique ou dans les PEID.

 

Les nouvelles technologies ont permis plusieurs innovations susceptible d’accompagner le tourisme culturel notamment en matière de gestion des visiteurs, d’accès et d’interprétation des sites. Les touristes culturels visitant des sites du patrimoine culturel, par exemple, peuvent bénéficier d’outils éducatifs qui les sensibilisent à la valeur et à l’histoire des sites. L’estimation de la capacité d’accueil d’un site par le biais des algorithmes permet de réguler le nombre des touristes, comme dans la baie d’Ha-Long, au Viet Nam. En réponse à la pandémie, le musée des civilisations asiatiques de Singapour compte parmi les nombreux musées qui ont valorisé les technologies numériques pour offrir des visites virtuelles de leurs collections, permettant au public de découvrir les cultures et l’histoire asiatiques. La pandémie a mis en lumière le besoin de solutions technologiques pour mieux gérer les flux touristiques sur les destinations et encourager le développement touristique dans des zones alternatives.

Construire une vision pour l’après-pandémie : le tourisme régénératif et inclusif

Le tourisme étant étroitement lié aux mouvements et aux interactions des peuples, il figure parmi les secteurs les plus affectés par la pandémie et pourrait être l’un des derniers à se relever. Les restrictions de déplacements et la fermeture des frontières internationales ont entraîné un déclin massif du tourisme en 2020, poussant de nombreux pays à mettre en œuvre des stratégies en faveur du tourisme domestique pour soutenir les économies nationales. De nombreuses institutions culturelles ont mis en place des mesures strictes d’hygiène et de distanciation sociale, leur permettant de rouvrir leurs portes dès que la réglementation les y autorise. Une fois les restrictions de déplacement assouplies, la relance du secteur du tourisme pourra être envisagée, avec des répercussions sur l’économie et les communautés dans leur ensemble.

Si la pandémie a fait profondément évoluer le contexte des politiques publiques concernant le tourisme culturel, elle a également offert l’opportunité d’expérimenter des modèles intégrés qui pourront être approfondis à l’issue de la pandémie. Les destinations explorent aujourd’hui de multiples approches pour mieux ancrer les questions de durabilité dans leurs plans stratégiques de développement touristique et aucun de ces modèles ne saurait offrir une solution unique « clé en main ».

Une approche globale et intégrée du secteur culturel s’impose pour construire des modèles de tourisme culturel plus durables. Les efforts destinés à promouvoir les destinations de tourisme culturel devraient s’appuyer sur la diversité des domaines de la cuture, des sites culturels et patrimoniaux aux musées, en passant par l’économie créative et le patrimoine vivant, notamment les pratiques culturelles locales, la production alimentaire et artisanale. Au-delà des grands sites culturels – qui constituent des leviers importants de l’attractivité des destinations touristiques, en particulier les villes – le tourisme culturel devrait également tenir compte d’autres aspects de la chaîne de valeur culturelle, de même que des expressions culturelles plus locales, basées sur les communautés. Une telle approche globale est susceptible de contribuer à une distribution plus équitable des revenus du tourisme culturel, permettant également de mieux répartir les répercussions économiques du tourisme à l’échelle des territoires et de réguler les pressions du surtourisme sur les sites culturels renommés, en particulier les sites du patrimoine mondial. Cette vision fait écho aux aspirations croissantes des visiteurs à travers le monde en faveur de pratiques touristiques plus inclusives et durables, permettant d’aller à la rencontre des communautés locales et d’élargir la compréhension et la reconnaissance de la diversité culturelle.

En conséquence de la crise, la dimension transversale du tourisme culturel a été mise en lumière, soulignant ainsi sa nature intersectorielle et les interactions avec d’autres domaines du développement. Le tourisme culturel – et le tourisme au sens large – est un levier important au regard du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et de ses 17 ODD, bien que le plein potentiel du tourisme culturel pour contribuer au développement – dans ses dimensions économiques, sociales et environnementales – demeure insuffisamment exploité. Un tiers des ENV des pays font ainsi référence au tourisme culturel, démontrant son caractère prioritaire pour les gouvernements. La nature transversale du tourisme culturel ouvre des possibilités pour construire des synergies entre les différents domaines des politiques publiques et renforcer la coopération interministérielle en vue de construire un secteur plus robuste et résilient. Cette coopération transversale est essentielle pour poser les fondements d’un tourisme culturel régénératif. De même, le tourisme peut constituer un critère essentiel d’engagement pour certains donateurs, ou une composante décisive pour encourager le financement des projets culturels, notamment dans le domaine du patrimoine ou des industries culturelles et créatives.

 

Houses in Amsterdam, adisa, Getty, Images Pro

 

À la faveur de la crise, plusieurs pays ont déployé des actions en faveur de modèles plus durables de tourisme culturel, en veillant à ce que la planification de la reprise soit cohérente avec les principes du développement durables et les ODD. Le tourisme est affecté par le changement climatique autant qu’il y contribue. Les initiatives destinées à intégrer l’action climatique dans les politiques touristiques, ou encore à renforcer la préparation aux crises et les stratégies de réponse, demeurent encore préliminaires. L’ampleur du changement climatique, et ses répercussions contrastées dans les différentes régions du monde, affectera en profondeur le tourisme culturel dans les décennies à venir. De ce fait, la planification de la reprise devra intégrer pleinement les préoccupations liées au changement climatique. Accélérer l’action climatique est une composante essentielle de la résilience du secteur.

Le rôle essentiel des acteurs locaux en faveur du tourisme culturel doit être accompagné et amplifié. Les savoir-faire, réseaux d’acteurs et modèles de politiques publiques expérimentés au plan local peuvent efficacement accompagner l’action des États pour forger un secteur du tourisme culturel plus fort et plus durable. À cet égard, la coopération entre les différents niveaux de gouvernance du tourisme culturel doit être renforcée de même que l’alliance avec la société civile et le secteur privé. Du fait de l’impact de la pandémie, de nombreuses villes et municipalités ont vu les subventions de l’État s’éroder, étant ainsi amenées à déployer des mesures fondées sur les ressources locales. Parallèlement, de telles initiatives peuvent ouvrir des opportunités en matière de création d’emploi et de formation, en réponse aux besoins locaux.

La diversification des modèles du tourisme culturel est une perspective importante, de même que l’intégration du secteur dans les stratégies de planification économiques et régionales. Dans le contexte de la pandémie, la dépendance excessive du secteur culturel vis-à-vis du tourisme a été particulièrement mise en lumière, notamment dans certains pays qui ont vu leurs économies mises à l’arrêt. Les failles préexistantes en matière de préparation aux risques et de capacité de réponse – aussi bien au niveau des politiques publiques que du secteur touristique lui-même – ont amplifié ces répercussions. Le secteur du tourisme culturel est particulièrement fragmenté et dépendant des autres secteurs, reposant notamment sur un tissu de petites et moyennes entreprises. Une compréhension plus approfondie de la chaîne de valeur du tourisme peut esquisser des pistes pour faire progresser graduellement le secteur. De même, des modèles plus intégrés et équilibrés poseront les bases d’un secteur plus résilient et moins vulnérables aux crises à l’avenir. Plusieurs pays tirent parti de telles approches en intégrant des critères liés aux dimensions environnementale et sociale de la durabilité, et ce aux divers niveaux de gouvernance et en concertation avec les différents acteurs.

 

abhishek gaurav, Pexels

 

L’inclusion doit être au cœur des préoccupations dans les efforts de relance du tourisme culturel. Les acteurs concernés doivent participer pleinement à la planification et à la gestion des politiques publiques aux différents niveaux de gouvernance. De même, les communautés locales doivent être directement impliquées pour bénéficier des opportunités et répercussions économiques liées au tourisme culturel. Elles doivent également être accompagnées et engagées pleinement pour élaborer des solutions en amont, posant les fondements de scénarios plus durables et potentiellement réplicables à long terme. Les décideurs doivent fournir le cadre nécessaire pour le développement du tourisme culturel s’inscrive dans le contexte plus large des stratégies locales et régionales, en collaboration étroite avec les communautés locales et le secteur privé. Le rôle des entreprises, à cet égard, est essentiel pour accompagner l’adoption de pratiques éco-responsables, notamment en matière de transport, d’hébergement et de restauration. Un équilibre entre les investissements publics et privés doit également être recherché pour soutenir une approche intégrée de l’après-crise, qui encourage la pleine participation du secteur privé et la société civile.

La crise de la COVID-19 a mis en lumière le rôle essential des musées comme composante intégrante des sociétés, en matière de bien-être de santé, d’éducation et d’économie. La transformation numérique a changé la donne, permettant à de nombreuses institutions culturelles de demeurer opérationnelles dans la mesure du possible. Toutefois, des disparités importantes demeurent en matière d’infrastructures et de ressources, particulièrement mises en évidence par l’accélération de la transition numérique à la la faveur de la crise. Les musées dans les PEID font face à des contraintes particulières en matière d’accès aux technologies. Ces déséquilibres devront être abordés de front dans le cadre des stratégies de relance suite à la crise.

La pandémie offre l’opportunité de repenser le tourisme de demain et ce qui constitue les critères et objectifs du « succès ». Le tourisme culturel de qualité prend aujourd’hui de l’ampleur dans le cadre des stratégies de relance, pour contribuer à long terme à la santé et à la résilience du secteur, ainsi que des communautés locales. De même, de nombreux pays explorent les voies d’accélérer la contribution du secteur au développement durable et à la transition écologique. À cet égard, la pandémie dessine la voie d’un changement de paradigme – la transformation des secteurs de la culture et du tourisme vers des modèles plus inclusifs et durables. Cette démarche implique de déployer des approches du tourisme qui soient destinées non seulement à réduire les impacts négatifs du tourisme, mais aussi à apporter une contribution positive à la protection l’environnement au sein des destinations touristiques et des communautés. Cette vision du tourisme régénératif s’inscrit dans une approche globale qui aborde le tourisme au-delà de sa dimension financière, et fait évoluer les priorités en faveur des communautés locales, ainsi que du bien-être des populations et de la planète.

 

Entabeni Game Reserve in South Africa by SL_Photography